Ce qui manque aux orateurs en profondeur, ils vous le donnent en longueur.
Dans un autre style, bien singulier, on prête cette formule à Pierre Dac : « La recette d’un bon discours, c’est une très bonne introduction, une très bonne conclusion, et les deux les plus rapprochées possible ».
Depuis des décennies, les communicants ont subtilisé la place des auteurs dans le microcosme politique. À coup de petites phrases et de slogans bien trouvés, le discours n’a plus de raison de développer une pensée complexe, d’autant que l’homme ou la femme politique communique chaque jour ses réflexions et/ou (in)actions sur les réseaux sociaux. Attentif ou passionné par la chose publique, on observe de plus en plus de candidats en campagne, sur les estrades, s’agiter, tels des pantins, et l’on n’entend plus, hélas, la sincérité. Il y a occupation de l’espace public, sans pensée.
crédit photo : Bogomil Mihaylov
Le discours : de quoi parle-t-on ?
Ce mot vient du latin discursus qui, à l’origine, signifie « action de courir çà et là », puis le sens est devenu celui que l’on connaît dorénavant : « discours, conversation, entretien ». Au sens premier du mot, c’est bien ce que l’on observe, une gesticulation d’une idée vers une autre, sans fil conducteur.
Pour un esprit exigeant, la frustration peut être grande à l’écoute des discours de nos hommes et femmes politiques en campagne électorale ou lors d’une intervention publique au parlement.
Selon la traditionnelle Académie française, un discours est « un morceau d’éloquence d’une certaine étendue, adressé en public à une ou plusieurs personnes, qui traite méthodiquement d’un sujet précis ». On parle bien ici d’une méthode et d’un seul sujet. Bien entendu, un discours dispensé lors d’une campagne électorale nationale aura tendance à aborder plusieurs thèmes, toutefois les grands discours ont toujours une trame, une âme, une intention. C’est ce qui fait leur force, leur valeur. Ces discours sont alors mémorables. Souvent, je suis atterrée par les interventions des personnalités publiques, je suis embarrassée pour elles. Lorsque je me permets d’émettre une quelconque critique sur la pauvreté de l’allocution, voire la malhonnêteté de l’orateur, j’entends que je suis sévère. Surtout on me rétorque qu’il faut faire simple afin que tous les électeurs, quel que soit leur niveau, puissent comprendre. C’est à la fois méprisant et paresseux.
Le discours : le fond versus la forme
La définition littéraire du discours, « propos d’une certaine durée tenu dans une conversation », a également son pendant péjoratif « propos trop longs et inutiles, verbiage ».
Comme collaboratrice parlementaire, j’écoutais avec attention les interventions en séance des sénateurs, ainsi que celles des députés, et j’avoue avoir soupiré parfois devant des parlementaires et m’être réveillée devant le discours d’autres élus. Pourtant, ceux et celles qui m’assoupissaient n’étaient pas les moins intéressants. S’ils avaient privilégié le fond, ils avaient laissé de côté la forme particulière du discours. Ils en avaient oublié le souffle, la respiration. Alors, il fallait résister pour ne pas décrocher. D’autres, naturellement tribuns, attiraient toute votre attention pendant l’intégralité de leur performance. Vous vous rendiez compte, en définitive, que ce n’était qu’une suite de petites phrases assassines et, majoritairement, de propos de café de commerce. Certes, ils y avaient insufflé un ton, un état d’esprit, mais aucune pensée n’avait traversé leur discours.
Passionnée par les affaires publiques, par la politique, j’aime écouter les débats et les discours de nos élus. Je fais partie des quelques mordus de La chaîne parlementaire ou de Public Sénat. J’écoute tout le monde et spécialement celles et ceux dont les idées sont à l’antipode des miennes. J’attends toujours avec une grande espérance d’être conquise intellectuellement à défaut de l’être par l’ensemble des positions, des programmes. Je ne veux pas fermer la porte. Mon intention se traduit le plus souvent possible par « penser contre soi et accueillir la réflexion de l’autre ».
Le discours : une succession d’éléments de langage ?
Certains élus ou candidats sont de vrais orateurs, ils sont rares. Malheureusement, nombre d’entre eux ne savent pas écrire ou sont entourés de collaborateurs qui, s’ils sont très compétents pour rédiger des fiches de synthèse, ne connaissent rien à l’art oratoire.
Il ne suffit pas de maîtriser peu ou prou un thème, un dossier, et de savoir écrire de jolies phrases sans faute d’orthographe. Il est primordial de savoir penser l’autre. Lorsque je rédige un discours pour une personnalité politique, si je peux proposer des idées, un déroulement de la pensée, je m’efface pour m’emparer de la voix de l’orateur. L’exercice consiste à remplacer des mots voire des expressions car je sais que ce n’est pas le vocabulaire de celui ou de celle qui s’emparera du texte. En captant sa voix, je dois retranscrire son souffle.
Je comprends que, lorsque les enjeux sont importants, l’exercice est contraint. Je pense notamment aux ministres qui n’ont pas toujours la possibilité d’exposer leurs propres idées. Alors, on assiste à une allocution plate, entendue maintes fois, ou alors à une récitation de mesures ou de projets, issus directement des fiches des administrations. Il est temps de lutter contre les éléments de langage.
Le discours : un monologue ?
Lorsque l’on rédige un discours, l’audience à laquelle l’orateur s’adresse est tout aussi importante que celui-ci. Lorsqu’une personnalité politique est en campagne électorale, en meeting, elle ratisse large car même si l’on peut faire une sociologie de son électorat, cela reste quand même fait au doigt mouillé. Chacun bénéficie de son moment, de son petit paragraphe, d’où un tas de lieux communs, une longue liste de produits de catalogue.
Parmi les commentateurs de la vie politique, certains mettent le doigt sur le peu de vision, le manque d’enchantement des interventions publiques mais cela vaut également pour un dirigeant d’entreprise.
Je ne crois pas qu’un discours doit être un simple exercice devant un public acquis. Le discours doit surprendre son audience par son audace, il doit être incarné par l’orateur. Il doit même surprendre et séduire ses opposants. L’audience ne doit pas se résumer à un parterre de journalistes rarement spécialisés sur le sujet, ou de quelques décideurs publics ou privés. Si l’orateur manque souvent d’éloquence, on peut fréquemment le mettre sur le compte d’un manque de conviction quant à ce qu’il égrène.
Ceci posé, Oscar Wilde pensait que “La valeur d’une idée n’a rien à voir avec la conviction de celui qui l’exprime. » Il est parfois entraîné également dans une répétition de lieux communs tant répétés depuis des décennies, qui l’ont convaincu, soit dans l’obligation de suivre des directives d’un chef de gouvernement ou d’un groupe politique, et cela s’entend. Pourtant, il est tout à fait possible de ne pas trahir son “clan” tout en apportant une vision singulière et galvanisante.
Je ne suis pas optimiste quant à une amélioration des discours à venir car nous vivons le temps des petites phrases, des slogans et des “bruits” qui parasitent et paralysent la pensée complexe et créative, qui séduisent un auditoire qui ne souhaite entendre que des opinions et non une argumentation et des faits. Alors, les orateurs se vautrent dans cette simplification. Peut-être existe-t-il d’excellents orateurs qui ont échappé à ma vigilance ? Peut-être. Je suis pourtant de celles et ceux qui s’attachent à décortiquer leur logorrhée, qui sont épris de politique au sens noble du terme, et qui continueront à analyser leurs discours, leurs actes, et parfois le retournement de vestes en deux interviews consécutives.
J’attends d’un responsable public qu’il soit à la hauteur de ses ambitions. Je suis lucide mais, en ces temps tourmentés, de bouleversements, je me dois aussi d’être optimiste et je veux croire que surgiront des idées nouvelles mettant à plat les idées convenues qui, telles des sparadraps, collent aux doigts des partis politiques.
Certes, un discours habité et bien construit n’est pas suffisant pour changer une société, son état d’esprit, pour lutter contre ses peurs et ses préjugés. Les décisions et les actions de la classe politique sont primordiales mais quand une personnalité publique pense vraiment ce qu’elle clame, elle se tient debout, elle a une densité qui ne peut échapper à personne. À l’opposé, lorsqu’elle égrène un chapelet d’éléments de langage, elle y laisse des interlignes dans lesquels on peut aisément s’engouffrer. C’est faire alors toute place au vide, et ainsi laisser de l’espace au “bruit et à la fureur”, à la paresse intellectuelle et à la haine.