Au bord du précipice #2

À quel moment faut-il s’attendre à voir s’approcher le danger ? Je réponds. S’il nous atteint un jour, il ne peut surgir que de nous-mêmes. Il ne peut pas venir de l’étranger. Si la destruction doit être notre lot, nous ne pouvons qu’en être nous-mêmes le lieu d’origine et d’achèvement. En tant que nation d’hommes libres, il nous faut traverser tous les temps, ou mourir par suicide.
Abraham Lincoln | Discours devant le Young Men’s Lyceum de Springfield, Illinois
– 27 janvier 1838

Le 6 novembre dernier, aux aurores, nous apprenions, en Europe, que la chose orangée avait été élue pour un second mandat – et a priori le dernier, selon la Constitution américaine. Le 6 novembre dernier, aux aurores, nous comprenions avec stupeur que les citoyens américains récidivaient alors qu’ils avaient déjà pratiqué le personnage et que, cette fois-ci, celui-ci s’était entouré des profils les plus sinistres, les plus incompétents, les plus instables, les plus radicaux mais surtout… les plus soumis et flagorneurs.
Chacun se déplaît – ou se plaît – à penser que l’Europe risque d’en pâtir mais posons-nous la question inverse : l’économie américaine pourra-t-elle supporter, à moyen et long terme, un protectionnisme encore plus exacerbé ?
Publiquement, les leaders d’extrême-droite européens se réjouissent de la victoire de l’agent immobilier new-yorkais. Est-ce pourtant une bonne nouvelle pour nos nationalistes ?

crédit photo : annie spratt

En complément du premier volet de nos réflexions sur le résultat des élections, il est intéressant de se poser la question de la pertinence de la politique économique protectionniste des États-Unis. Les marchés européens n’ont pas attendu l’objet, cette fois-ci bien identifié, à postiche pour affronter les nombreux obstacles commerciaux des différentes administrations démocrates ou républicaines. « America first »!
Dans un article du journal Le Monde, Laurence Nardon, de l’Institut Français des Relations Internationales, écrivait déjà, l’année dernière : « Dans une continuité avec Trump, les « Bidenomics » renforcent par ailleurs un protectionnisme tout à fait assumé, visant à faire revenir les emplois industriels aux Etats-Unis et à entraver la concurrence technologique de la Chine.»
Deux jours après les élections américaines, la FEPS (Foundation for european progressive studies) et le German Marshall Fund organisaient un webinaire sur le « State of Unions » – la situation des alliances. Alors que nous nous trouvons au bord du précipice, les relations transatlantiques vont se tendre davantage, et peut-être rompre.
La majorité des Américains ont voté pour de seuls motifs domestiques – seuls 4 à 5% des électeurs outre-atlantique plaçaient les sujets internationaux en tête de leurs préoccupations -, pourtant les conséquences sur le reste du monde vont être inversement proportionnelles aux capacités intellectuelles du président élu, soit immenses.
Selon un intervenant lors de ces tables-rondes, un sondage rapide, le lendemain des résultats, révélait que 8 Européens sur 10 étaient inquiets et mécontents de l’élection de cet homme raciste, et si l’on sondait les seuls Français, une majorité des électeurs, même ceux du petit Jordan et de la « présumée » kleptomane de Bruxelles, penchaient pour la candidate démocrate. On comprend ainsi les messages retenus de félicitations du duo. Ce ne sont que des sondages mais ils soulignent une différence fondamentale entre l’Europe qualifiée de « vieille » et un continent américain mené par un pays qui n’a jamais essayé de se débarrasser de ses démons, de sa violence, de son racisme et de son antisémitisme.
Il faut néanmoins préciser, pour être honnête, que du côté des pays de l’Est, en Hongrie ou en Slovaquie, le candidat, serial-menteur et criminel, avait les préférences de leurs citoyens.
En Europe, et surtout en France, nous avons ce défaut d’être des « affectifs » dans nos relations avec les États-Unis. De l’autre côté de l’océan, nous avons affaire à des pragmatiques. La chose orangée se fiche des bonnes relations transatlantiques. Pour lui, tout est question de business, d’argent. Ce qui l’agace, c’est la balance commerciale excédentaire en faveur de l’Union européenne. Le Président élu assimile notre construction européenne à une « mini-Chine ». Alors, comme pour l’empire du Milieu, il a promis au consommateur américain de protéger les marchés domestiques en appliquant des taxes supplémentaires. Celles de la Chine ont été révélées ces derniers jours, mais aussi celles appliquées à ses voisins – le Canada et le Mexique – de son marché intérieur d’Amérique du nord.
Il est toujours ironique d’entendre des politiciens français fustiger le libéralisme de leurs adversaires et surtout celui des pays anglo-saxons. Il s’agit de savoir ce qu’est le libéralisme, et ce n’est certainement pas la politique adoptée depuis près d’un siècle par les États-Unis et les mesures de barrières à l’entrée, de subventions déguisées aux agriculteurs, de programmes de subventions aux exportations, soit une politique commerciale très agressive, qui font de ce pays une terre libérale. C’est le contraire de ce que préconisaient les théoriciens du libéralisme. Quand on sait que « celui qui murmure à l’oreille » de la bête orangée est l’homme le plus riche du monde, héritier lui aussi de son papa, nous ne pouvons que nous attendre à des mesures économiques de plus en plus « hors sol » et radicales. En leurs faveurs et en celles de leurs amis étouffant déjà sous leurs milliards…
Certains applaudissent ce choix des Américains car Wall Street serait rassuré… C’est oublier que les variations des marchés financiers sont plus sensibles à l’effet psychologique – ici testostéronée – de cette élection. Lorsque les citoyens de la soi-disant plus grande puissance économique se rendront compte des effets inflationnistes de cette politique protectionniste – oui, ce sont bien eux qui paieront les taxes – , il sera trop tard pour renverser les cupides millionnaires et milliardaires de leur position de pouvoir.
Le secteur des services représente 80% de l’activité économique américaine alors que l’industrie a été délocalisée… les tarifs sur l’importation vont entraîner une spirale d’inflation qui va plomber leur économie. Et si l’on en croit la réaction de la Présidente mexicaine, Claudia Sheinbaum, à chaque taxe imposée par les États-Unis, son voisin du sud en appliquera une également. Les conséquences, si elles seront plus importantes pour le Mexique, seront aussi dommageables pour l’économie du voisin encombrant.

Trump va rendre la vie des dirigeants européens d’extrême droite, en tant qu’euro-sceptiques, beaucoup plus difficile. Ils vont devoir choisir entre rester euro-sceptiques, s’aligner sur Trump et nuire à leur base, ou s’aligner sur l’Union européenne, se défaire de leur spécificité et perdre des électeurs. Ils ont été dépassés par le populisme.

Sur nos terres pour l’instant épargnées, les auditions des commissaires européens désignés se sont achevées le 12 novembre. Certains d’entre eux, notamment le Hongrois Olivér Várhelyi et l’Italien Raffaele Fitto – membre de Fratelli d’Italia, groupe politique de la dirigeante d’extrême-droite, Giorgia Meloni – étaient sur la sellette. C’était sans compter sur les transactions en coulisses. Il peut être regrettable de voir désigné comme vice-président un membre de l’extrême-droite italienne. Ursula von der Leyen, cela était prédit, même après un premier mandat bousculé par la pandémie du Covid et l’agression russe en Ukraine, va vivre un second mandat encore plus complexe et laborieux avec le chantage de l’extrême-droite renforcée au Parlement européen mais surtout les tentations de son propre groupe de la droite conservatrice – le Parti Populaire Européen – de s’associer aux nationalistes pour détricoter des mesures adoptées, progressives, notamment en matière de droits des femmes, des minorités et de l’environnement. Le Pacte vert va prendre des coups. Tout ceci au prétexte que les politiques de l’Amérique de Trump seront agressives. Les administrations américaines n’ont jamais favorisé l’Europe, celle de Trump comme celles de ses prédécesseurs et successeurs.
Viktor Orbán (Fidesz, Hongrie), Giorgia Meloni (Fratelli d’Italia, Italie), Geert Wilders (Freedom party, Pays-Bas), Alice Weidel (Alternative für Deutschland, Allemagne) se sont publiquement réjouis de l’élection de leur favori ultra-nationaliste tandis que nos politiciens d’extrême-droite français, naguère enamourés de la chose orangée, se sont manifestés avec pudeur. N’y voyez pas une distanciation dans les idées – il suffit d’entendre l’intervention « trumpiste » et victimaire de Marine Le Pen sur les plateaux de télévision suite aux réquisitions du parquet dans l’affaire de détournement de l’argent européen – mais plutôt du pragmatisme. Même les électeurs du petit Jordan ne sont pas des groupies de Trump et, au Rassemblement national, ils ont intégré le danger de manifester à nouveau leur admiration.
Selon les diplomates et les analystes européens, ceux qui sont aussi surnommés les « mini-Trump » réalisent que leur situation ne risque pas de s’améliorer et qu’elle va probablement s’envenimer avec l’arrivée de l’équipe « à la hache » américaine. « America first » n’épargnera pas les pays européens, même ceux dirigés par leurs groupies de l’extrême-droite. Et la politique économique américaine – car elle n’a pas les mêmes contraintes que celles de petits pays européens – risque de rentrer en conflit avec les ambitions de leurs insignifiants autocrates. On pense notamment à leurs concessions vis-à-vis de la Chine ou de la Russie pour certains – n’est-ce-pas, Viktor? Quant à Giorgia, si elle met en scène les relations privilégiées avec l’homme le plus riche du monde et conseiller du prochain Président, ses positions sur l’Otan et la responsabilité de la Russie dans la guerre en Ukraine sont en contradiction avec la position de l’équipe de l’ancien animateur de télévision « bling-bling ».
C’est pourquoi il apparaît pathétique que certains hommes et femmes politiques français de la droite conservatrice – voire centriste – adressent des messages d’empressement à une future collaboration avec la prochaine administration. Quand parallèlement l’extrême-droite se fait plus discrète. Voyez plutôt leurs réactions sur le succès de Trump pour contrer le wokisme quand il n’était qu’un argument de campagne et une obsession tandis que son adversaire, Kamala Harris ne l’a jamais évoqué lors de ses meetings. Écoutez l’excellent éditorial de Patrick Cohen sur France inter à ce sujet. Il y a comme une sorte de relâchement chez nos amis, anciennement RPR, du fait de la nomination d’un des leurs à Matignon, pour nous ressortir leurs idées bien rances et ultra-réactionnaires, pour nous imposer leurs réflexes pavloviens.
Nulle part, à droite, à gauche, au centre, où je ne sais où, on a appris de ses revers électoraux. Personne ne se met sérieusement à chercher de nouvelles solutions dans un monde qui n’est plus celui du 20ème siècle. Personne ne travaille alors qu’ils sont les premiers à faire la leçon à leurs électeurs sur l’assistanat.
Personne n’essaie de panser l’Autre, et de penser l’Autrement…

Pendant ce temps, le golfeur luisant qui s’était éloigné, lors de sa campagne électorale, du funeste « projet 2025 » place ses auteurs à des postes importants de sa prochaine haute administration – le fameux Deep State qu’il fustigeait. Cette fois-ci, le personnage n’est pas pris au dépourvu, il savait à l’avance qu’il remplacerait, aux postes stratégiques, celles et ceux qui pourraient résister à son programme de spoliation des biens publics, privés, et de mise en œuvre de politique ultra-conservatrice, dans un premier temps ciblée vers les femmes.
On parle souvent des ingérences russes et chinoises mais depuis la création de nos institutions européennes, nos « amis » et partenaires américains n’ont eu de cesse de faire plier nos ambitions, et cela perdure. Ce sera l’objet d’un futur billet. Les conservateurs viennent à l’assaut de nos démocraties en passant pas la case bruxelloise. Avec les complices au pouvoir de certains pays européens et des profils corruptibles dans nos institutions, il va nous falloir être vigilant de tout côté.

Inscrivez-vous pour recevoir ma newsletter mensuelle !

Pas de spams ici ! Consultez la politique de confidentialité pour plus d’informations.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Retour en haut