De l’émotivité des hommes

Il redoute ses sarcasmes. Elle redoute sa fureur. Elle pourrait se moquer de lui. Il pourrait la tuer.

Il semble qu’il n’y ait aucune solution pour éveiller les consciences. Il semble qu’il n’y ait aucun espoir d’éradiquer la violence exercée contre les femmes, le sexe qualifié de faible, mais qui, tel La femme qui marche d’Alberto Giacometti, fragilisée, déstabilisée, chancelante, résiste encore et encore, est puissant, accueille avec bienveillance, se destine à l’autre.
Tout le système est ligué contre celle qui pense et qui panse, qui entretient le sourire et la bonté dans son regard, mais ressent souvent aussi l’effroi. Une affaire comme celle du Val de Sambre nous démontre à quel point l’extrême violence sexuelle des hommes sur les femmes ne suscite… rien. Aucune réaction, aucune empathie, non seulement chez les hommes mais aussi parfois chez les femmes qui ont intégré les stéréotypes – si un homme s’est acharné contre elle, elle l’avait bien cherché, non ?
Parfois, la fiction peut faire figure de revanche mais c’est sans compter l’émotion de ceux qui hurlent à l’indécence ou dénoncent l’apologie de la violence quand ce sont les femmes qui se défendent, qui essaient seulement de sauver leur peau. On ne parle pas ici de femmes qui agressent gratuitement un homme parce que, soudain, elles éprouvent un besoin immédiat à satisfaire. On parle de femmes écorchées vives, toutes de douleurs, qui répliquent.
Et surtout, on parle de fiction.
Ne jamais sous-estimer l’émotivité masculine.

crédit photo : Ansh Minchekar

À :
Béatrice, Delphine, Danielle, Nadine, Éliane, Marianne, Véronique, Christelle, Rachelle, Sarah, Émilie, Laetitia, Marion, Estelle, Dalila, Fanny, Cécile, Valérie, Mélanie, Monique, Adeline, Nicole, Manon, Blandine, Betty, Sabine, Jenny, Marine, Charlène, Julie, Lucie, et toutes les anonymes qui, sur le chemin du collège, du lycée, du travail, très tôt, dans l’obscurité du petit matin, ont eu le malheur de croiser la route de celui qui ne ressemble à rien, à Clara, Aline, Patricia, qui ont été attaquées sauvagement à leur domicile.
À toutes ces femmes, nombreuses – certaines se sont tues -, qui souvent ont culpabilisé, ou que l’on a fait culpabiliser, qui se sont souvenues qu’elles se sentaient suivies, surveillées depuis plusieurs jours, qui tressailliront toute leur vie, qui non seulement n’ont pas été écoutées mais surtout ont été soupçonnées de mentir.
Toujours remettre en question la crédibilité des récits de ces femmes, alors que l’on sait qu’elles ont tout à perdre en témoignant et en dénonçant.

Le « monsieur moyen », voilà le nom que Franck Martins, commandant de la police judiciaire de Lille à l’époque, attribue à celui qui pendant plus de trente ans a commis ses crimes sans être inquiété. Mais les personnes qui comptent dans ces affaires sont les femmes qui, pour la plupart, ont continué de rester debout malgré le déchainement de violence qu’elles ont enduré, sexuelle mais également psychologique lors des examens et des interrogatoires. Certaines ont tenté de se suicider ou se sont suicidées, même après le procès.
Ces femmes se sont confrontées à une double peine : l’indifférence doublée d’une incompétence de l’immense majorité des fonctionnaires de la gendarmerie, de la police ou de la justice, sans oublier la médecine légale, institutions imprégnées de forte misogynie.
Le scénario du prédateur est toujours le même. Il est d’une telle violence – qui s’accroît au fur et à mesure des années car le monsieur moyen est à la fois fébrile et confiant – que nombre des femmes attaquées s’évanouissent sous les coups ou par strangulation.
L’accueil de la police et surtout de la gendarmerie est à la hauteur de leur médiocrité : main courante privilégiée au procès verbal – ce qui évite de rassembler des éléments d’enquête donc d’y passer du temps -, récits déformés et faux propos soutirés aux femmes violées comme si ce n’étaient pas elles qui témoignaient, des fausses déclarations imposées par les interrogateurs, qui leur porteront préjudice bien plus tard, lors du procès. Double peine, on vous dit. La plupart du temps les viols sont classés sous la dénomination “mésaventure”, “attentat à la pudeur avec violence”.
Pour qui a un minimum de compassion, l’attitude des fonctionnaires de police et principalement de gendarmerie ne peut laisser indifférent, malgré leurs déplorables conditions de travail de l’époque. Car ce que ne savent pas les femmes, c’est que dès la fin des années 90, les affaires sont reliées les unes aux autres mais aucune d’entre elles, pourtant prêtes à aider dans l’enquête, n’est contactée, informée. Et toujours, chez toutes, cette impression de déranger…
Certaines femmes attaquées arrivent, malgré le choc, à se débattre, à hurler voire parfois à engager une conversation, ce qui fait fuir le « monsieur moyen ». Le violeur est ainsi une petite chose pleutre, minable que seules la tétanie et la peur excitent et encouragent.
Il lui demande si elle a peur. Elle répond oui.
Ces femmes seront cernées par la médiocrité. Ces femmes seront abandonnées malgré le courage et la ténacité d’autres femmes : Annick Mattighello, la maire de Louvroil, la juge d’instruction belge Martine Michel, ouverte d’esprit, qui confie les éléments de l’enquête à un géomaticien, les juges d’instruction françaises, Laurence Delhaye et Armelle Briand, et de quelques rares hommes de la police judiciaire de Lille.
Quand après avoir visionné la série télévisée Sambre, on se plonge dans l’ouvrage qu’a rédigé la journaliste Alice Géraud sur les affaires du violeur en série du Val de Sambre, on veut hurler, pour une raison très simple. Non, on ne découvre pas tout un système (police, gendarmerie, justice, entreprise, élus, médecine) et une société s’opposant à la lutte contre les violences extrêmes faites aux enfants et aux femmes. Celles-ci sont tellement intégrées comme normales ou sans importance que depuis des millénaires, malgré quelques soubresauts, quelques modifications de la loi, les mentalités ne semblent changer que pour une infime partie de la société. Et la fiction peut accompagner ce changement malgré les protestations de ceux qui se sentent atteints dans leur masculinisme.

Dana & Murray – Bande annonce

Un élève : Le Prince tombe amoureux de Cendrillon au bal. C’est le coup de foudre, et…
Murray : Le coup de foudre alors qu’il oublie à quoi elle ressemble ?! Il danse avec Cendrillon toute une nuit, mais il ne sait pas à quoi elle ressemble, où elle habite, ni comment elle s’appelle, ni où chercher. Tu as besoin d’une chaussure pour identifier ta bien-aimée ?!
L’élève : Non.
Murray : Non, moi non plus.
Une élève : alors pourquoi il la poursuit et veut la retrouver ?
Murray : Parce qu’elle lui a échappé. Minuit sonne, et Cendrillon quitte le bal, en laissant le Prince avec sa bite royale à la main. Et le Prince, narcissique, qui n’a pas l’habitude qu’on lui échappe, se sent rejeté. Que provoque le rejet chez un narcissique ? … Obsession et désir de vaincre. Je vous le dis, c’est pas une histoire d’amour. C’est une histoire d’obsession. C’est une histoire d’ego masculin blessé. C’est l’histoire d’une poursuite aveugle. C’est l’histoire de tous nos ex.

Bella n’a pas d’âge, elle n’a pas non plus de physique, cela n’a pas d’importance. Bella représente toutes les femmes, elle est universelle. Durant ce Dirty week-end, elle choisit d’être la bête plutôt que la belle, proie de ces si nombreux prédateurs sexuels. La bête a une différence fondamentale avec ses agresseurs, la bête n’attaque pas gratuitement, elle réagit aux assauts multiples, non sollicités, pénibles qui l’enferment, la terrorisent, l’étouffent.
Cette fiction qui a choqué l’Angleterre au tout début des années 90 narre les pérégrinations meurtrières d’une femme qui n’en peut plus des menaces sur et des atteintes à son corps.
Ce roman a été le dernier ouvrage littéraire à “comparaître” devant la Chambre des Lords dans le cadre d’une demande d’interdiction pour immoralisme, en 1991, il y a trente ans seulement.
On peut ainsi écrire sur des violeurs en série, des bourreaux et des assassins des femmes mais dès qu’il s’agit d’aborder la réaction, au même niveau de violence, des femmes, alors cela devient pornographique. Nos sociétés sont malades de la haine et du mépris exercés sur la moitié du genre humain.
Un livre écrit bien en amont de la vague #metoo, et qui a donc choqué le monde entier, non pas parce que cette femme est constamment harcelée, bousculée, tripotée, menacée, agressée. Non. Parce qu’elle réagit, le temps d’un week-end. Parce qu’elle supprime ceux qui s’en prennent à elle, ou à d’autres femmes, gratuitement. Ce type de réception rappelle la polémique que le film de Ridley Scott, Thelma et Louise, avait provoquée, spécifiquement aux États-Unis. Certains avaient même pensé que la scène du violeur abattu, si elle avait été écrite pour un homme, serait passée pour un acte de bravoure, de courage, de virilité. Les femmes peuvent être secourues par des hommes, qui sont des justiciers, mais elles ne peuvent pas se défendre elles-mêmes, sous peine d’être des hystériques, des folles, des meurtrières.
Les fictions britanniques depuis quelques années mettent en scène des femmes qui réagissent. Le comportement masculin n’a pas changé mais celui de certaines femmes, si. Comme pour l’affaire Sambre, ce qui peut exciter de potentiels agresseurs, c’est la peur lue dans les yeux de sa cible. Dans The Fall, Happy valley, No offence, Line of duty, les protagonistes mettent à terre littéralement les hommes ou ne sont à aucun moment déstabilisées par leur harcèlement. Et cela change fondamentalement la donne comme le suggère le roman de Naomi Alderman, The power.
La fiction peut ouvrir les yeux et faire bouger un peu les lignes. La peur doit changer de camp.

Pendant ce temps, le phénomène #metoo a mis 6 ou 7 années pour traverser l’Atlantique, et il ne concerne pas uniquement le monde du cinéma, du théâtre ou de la télévision. Une pensée pour les « simples » employées d’une usine ou d’une entreprise.
Pendant ce temps, comme la gendarmerie dans les affaires de viols de la Sambre, l’armée continue de récompenser les violeurs, ceux qui échouent dans leur virilité, et exclut ou rabaisse les femmes militaires agressées. La grande muette mérite bien son surnom rance.
Pendant ce temps, le Canada commence à peine à reconnaître les féminicides des femmes autochtones.
Pendant ce temps, notre Président, sans rougir et sans pouffer, se déclare lors d’une récente interview, du côté des femmes victimes de violence, notamment de la part des monstres sacrés du cinéma dont « la France est fière » ?
Quand on est une femme, que l’on n’est pas une gardienne du temple, on a la tentation, l’envie, maintenant, tout de suite, d’arrêter d’être celle qui est compréhensive, d’être celle qui panse et préserve la sensibilité masculine. On veut être celle qui pense aux petites filles, aux jeunes filles et aux femmes dont la vie a été au mieux une prison, au pire un long chemin de violence et de mépris.
Deux camps s’affrontent, celui qui visibilise avec courage les violences de toutes sortes faites aux femmes, de manière systémique, et celui qui hurle à la présomption d’innocence, qui veut encore couper la parole, couper le souffle. Oui, la justice et la police doivent faire leur travail, enfin ! Mais la présomption d’innocence n’est pas la décrédibilisation de la parole de toutes ces femmes.
Les femmes mais aussi les hommes doivent prendre conscience du mal qui va continuer de s’abattre sur la moitié du genre humain. La porte s’est à peine entrouverte que l’on sent déjà le courant d’air qui va la refermer. Brutalement.
Ne jamais sous-estimer la réaction des hommes, ne jamais sous-estimer leur émotivité.

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