Entracte #1 | Logorrhée espagnole et tourment lituanien

Cette rentrée théâtrale parisienne nous balade en Europe, dans toutes ses richesses.
L’Espagne et la Lituanie sont à l’honneur dans ce premier article consacré au spectacle vivant.
Prochainement, un grand classique du théâtre norvégien, La Maison de poupée de Henrik Johan Ibsen, mis en scène par un duo italo-norvégien, et Parallax, avec un texte et une mise en scène hongrois.

crédit photo : vitalii khodzinskyi

texte, mise en scène, scénographie, costumes : Angélica Liddell
lumière : Mark Van Denesse
son : Antonio Navarro
assistanat à la mise en scène : Borja López
traduction pour le surtitrage : Christilla Vasserot
production : Gumersindo Puche

et l’équipe technique de l’Odéon-Théâtre de l’Europe

Les couleurs vives accompagnent les performances de la controversée artiste espagnole, Angélica Liddell. De hauts voilages rouges et blancs encadrent le plateau. La scénographie est son talent.
Angélica Liddell a sa renommée. Elle est adulée et continue de captiver ses aficionados. Elle n’est pas détestée, ni rejetée, elle commence juste à désoler et à lasser.
On avait fait abstraction de la polémique du dernier festival d’Avignon, entre elle et le monde de la critique, en plein mois de juillet et de torpeur induite par la dissolution de l’Assemblée nationale. En lisant quelques articles de presse, certains s’étaient fait leur opinion en déplaçant le curseur, du côté de l’expression libre des journalistes, ou plutôt du côté des créateurs dont les œuvres sont assassinées en une représentation et quelques phrases.
Confiante car tombée sous le charme de la sulfureuse Espagnole avec son avant-dernier opus, Liebestod, enthousiaste à l’idée de commencer la saison théâtrale par la rage, les coups de poing ou de gueule, les excès parfois, de la performeuse, on se rendait à l’Odéon-théâtre de l’Europe. Toutes les dates affichaient « complet », c’était donc LE moment du spectacle vivant de la rentrée. 

Sans doute ai-je en moi quelque chose de l’ordre du repentir, l’envie d’être pardonnée, le désir de mourir en paix. Il m’arrive d’imaginer que je suis en train de jouer et que quelqu’un tire sur moi et me tue. Mais je ne veux pas mourir sur scène. Je préférerais mourir dans mon lit.

Interview d’Angélica Liddell – Le Monde – 29 juin 2024

Mais que vient faire Ingmar Bergman dans cette galère ? On rappelle le nom du spectacle : Dämon, el funeral de Bergman. Le prétexte est la passion qu’entretiendrait la dramaturge pour le réalisateur suédois, et l’enterrement qu’il s’est préparé à l’image de celui du Pape Jean-Paul II. Et il faut attendre la troisième petite partie du show provocant et gratuitement obscène pour un ultime tableau en rapport avec sa prétendue passion pour le cinéaste, et un monologue post-mortem auprès du cercueil.
Nous endurons les plaintes et les complaintes de l’artiste et ses mauvaises saillies sur des journalistes, critiques de théâtre, nommés. Déjà les groupies se gaussent. Puis suit un looong tableau, sur elle et son nombril. Seule sur scène (munie d’un micro…), elle nous inflige sa logorrhée. Une routine. Qu’elle se moque des Parisiens, des spectateurs, des acteurs du monde culturel français, de tout le monde, c’est son droit. Elle l’avait bien fait lors de son dernier spectacle. Et c’est cela le problème, on devine que c’est son fonds de commerce. On devine que c’est probablement ce que viennent rechercher certains spectateurs. Quand c’est très mal écrit, quand c’est paresseux, c’est douloureux à entendre. Même lorsque on n’a vu que deux spectacles, on se rend compte de la répétition, on est heurté par la vacuité du discours sur la vieillesse, la déchéance physique et mentale, le naufrage du désir sexuel et la mort. On note aussi un tic chez la dame, celui de hurler le dernier mot de la majorité de ses phrases. Après un deuxième tableau de comédiens – le sont-ils vraiment ? – de tous âges, hommes et femmes, plus ou moins dénudés et dont on nous impose les parties génitales, nous voici enfin aux funérailles du fameux cinéaste suédois. Et l’on se demande quelle est la part de fiction lorsque Angélica Liddell évoque son coup de foudre pour le réalisateur de Sonate d’automne ou de Scènes de la vie conjugale. Parce qu’on n’y croit pas.
Il est pénible d’assister à cette combinaison d’insultes et de mépris à l’endroit des spectateurs, suivie de minauderies qui quémandent de l’amour, de l’indulgence et de l’intérêt pour ce qu’elle leur inflige. 
Petite cerise sur le gâteau, entre autres représailles, Angélica Liddell met régulièrement les spectateurs sous tension avec le son de coups de feu, de sirènes, d’hélicoptères couvrant les scènes qui ne sont pas les siennes mais celles des comédiens suédois, comme si nous devions nous protéger d’un attentat imminent. Faut-il rappeler que l’un des journalistes jeté en pâture au début du spectacle a été grièvement blessé lors de l’attentat contre Charlie Hebdo ?
Répandre sa bile sur scène ne réussit à aucun dramaturge. Il est peut-être temps de lui trouver un auteur et un metteur en scène car la dame a certainement tant à nous dire encore, elle a beaucoup d’énergie, mais le discours est vide et vaniteux.

La Lituanie est l’invitée de la France
du 12 septembre au 12 décembre 2024

mise en scène et dramaturgie : Eglė Švedkauskaitė
textes : Dalia Grinkevičiūtė, Eglė Švedkauskaitė, Rasa Samuolytė, Darius Gumauskas, Ugnė Šiaučiūnaitė, Povilas Jatkevičius, Vitalija Mockevičiūtė
conseil dramaturgique : Anna Smolar
assistanat à la mise en scène : Kotryna Siaurusaitytė
scénographie : Ona Juciūtė
costumes : Dovilė Gudačiauskaitė
composition musicale : Agnė Matulevičiūtė
créatrice de l’instrument en forme de coquillage : Elena Laurinavičiūtė
lumières : Julius Kuršys
créatrice vidéo : Ieva Kotryna Ski

Fossilia pour des fossiles, de ce que l’on va déterrer. Des vertèbres de dinosaure sont posées à même le sol, un écran blanc légèrement penché vers l’arrière, de forme parallélépipède, nous accueille, un bloc de banquise nous saisit de froid. La scénographie est sobre, nous allons éprouver du noir et blanc comme un retour vers un passé tu et douloureux, un passé qui tourmente toute une population, de génération en génération. Le parallèle est fait ici entre l’histoire d’une famille, sollicitée par la conservatrice d’un musée, et la grand Histoire collective d’un pays soumis, plié en deux, sous le joug du grand frère russe. Après la seconde guerre mondiale, l’Union soviétique prend à nouveau le contrôle de la Lituanie – et de la Pologne – et met en place une politique de déportation massive de la population, femmes et enfants compris, dans des camps de travail forcé en Sibérie.

Si je devais choisir une manière d’immortaliser la mémoire historique de notre nation, je choisirais une eau ondulante, où nos souvenirs s’enfoncent et refont surface.
[…]
Je réfléchissais à ce froid qui persiste, aussi bien dans les corps que dans les relations humaines, et à l’incapacité de trouver les mots pour exprimer ce que l’on a traversé. Au sentiment de honte, d’être coupable sans avoir commis de faute. C’est ainsi que je voyais ma nation : silencieuse, honteuse, écrasée par des décennies de tentatives visant à nous anéantir, à nous déshumaniser, à effacer notre mémoire.

Eglė Švedkauskaitė – Discours lors de la commémoration de la Journée du deuil et de l’espoir – Parlement de Lituanie – 14 juin 2024

La Lituanie, pays balte, fut le premier pays sous le joug du grand frère russe à proclamer son indépendance en mars 1990, deux années avant l’effondrement de l’U.R.S.S., et sa population, devant l’agression de la Russie en Ukraine, redoute, comme tous ses voisins, une fragilisation de l’Union européenne et un tragique retour en arrière. La metteuse en scène, Eglė Švedkauskaitė, confesse dans ce discours au sein du Parlement qu’elle souhaite se libérer de ce regard accusateur envers son prochain et apprendre à éprouver de la compassion pour ces compatriotes qui peut-être lui faisaient honte car ils courbaient l’échine. Mais pour se redresser, il faut regarder le passé en face, il faut parler, et l’indicible n’est pas toujours transmissible. Et le silence a des conséquences sur les relations intra-familiales. C’est ce que raconte cette pièce écrite à plusieurs voix, celles de la metteuse en scène et des comédiens. Le texte jongle entre poésie et propos simples des membres d’une famille. Le père est le plus écorché car l’histoire et la grande Histoire ne lui ont pas été transmises.
La mise en scène est toute en sobriété et la direction de la troupe de comédiens, simple et directe. Efficace. On craint avec l’outil de la vidéo un accessoire inutile mais il rajoute à la profondeur et à l’émotion et nous transporte parfois sur une scène bergmanienne. Ici, Ingmar Bergman, sans être nommé, est convoqué. Sans bruit et sans fureur.

Il n’y a pas que le cinéma dans ma vie culturelle, il y a également le théâtre.
Ces deux spectacles ont été représentés respectivement à Odéon-théâtre de l’Europe et au Théâtre de la Ville-Les abbesses.

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