Le théâtre Gérard Philipe (TGP), bien ancré à Saint-Denis, dirigé par la talentueuse metteuse en scène Julie Deliquet depuis 2020, propage autour du lieu ses pépites du théâtre, du spectacle vivant. C’était déjà au TGP que j’avais découvert la metteuse en scène et beaucoup apprécié le spectacle de son Collectif In Vitro, Nous sommes seuls maintenant.
La norvégienne Yngvild Aspeli, comédienne, metteuse en scène et marionnettiste, est reconnue dans le monde entier. Ses spectacles sont joués aussi bien au Chili, en Chine, aux États-Unis qu’en Espagne et en Pologne. Ceux qui ont déjà vu ses performances antérieures disent qu’Une maison de poupée, de Henrik Ibsen, est son spectacle le plus théâtral.
Aux Ateliers Berthier, la pièce Parallax, mise en scène par Kornél Mundruczó, provoque une réaction binaire : elle plaît beaucoup ou elle dérange. Dans une recherche d’identité, trois générations d’une famille juive confronte leurs peurs, leurs angoisses, leur passé, leur avenir, chacun à sa manière.
crédit photo : yizack rangel
Une maison de poupée | A doll’s house
Texte : Henrik Ibsen
Mise en scène – Yngvild Aspeli et Paola Rizza
Actrice-marionnettiste – Yngvild Aspeli
Acteur-marionnettiste – Viktor Lukawski
Composition musique – Guro Skumsnes Moe
Chorale – Oslo 14 Ensemble
Fabrication marionnettes – Yngvild Aspeli, Sébastien Puech, Carole Allemand, Pascale Blaison, Delphine Cerf, Romain Duverne
Scénographie – François Gauthier-Lafaye
Fabrication décor – Eclektik Sceno
Lumière – Vincent Loubière
Costumes – Benjamin Moreau
Son – Simon Masson
Plateau et Manipulation – Alix Weugue
Dramaturgie – Pauline Thimonnier
Chorégraphie – Cécile Laloy
Tout le monde connaît la pièce de théâtre, Une maison de poupée, ou pense la connaître. En France, notre culture littéraire scolaire reste désespérément autocentrée sur nos incontournables auteurs nationaux, en particulier ceux qui sont décédés depuis des siècles. Nous connaissons les auteurs nord-américains parce qu’ils s’imposent à nous mais quid des auteurs suédois, allemands, italiens, vietnamiens si nous ne sommes pas suffisamment curieux ?
La metteuse en scène Yngvild Aspeli, accompagnée de Paola Rizza, nous présente la pièce avec sa touche singulière, ses marionnettes grandeur nature, utilisées non seulement pour incarner des personnages mais surtout des tempéraments, des rôles, des incarnations dans la vie d’une femme dont le seul destin est de se marier – de bien se marier -, de ne pas penser – le peut-elle seulement ?-, d’entretenir la maison et d’éduquer les enfants.
Nora, le personnage principal d’Une maison de Poupée, est connue comme une alouette chantante aux ailes légères. Et elle se cogne, tête en avant, contre l’invisible surface en verre de sa propre existence. Une maison de poupée est une vieille maison remplie de fantômes, usés par le temps et qui nous hantent encore. Une histoire sur les rôles que nous jouons, les paris que nous faisons et les illusions dont nous nous entourons. Il y est question de prendre en main et de lâcher prise, et de danser comme si notre vie en dépendait.
Nora Helmer est mariée à Torvald, fraîchement nommé directeur de banque. Elle évolue dans un milieu bourgeois de la société norvégienne de la fin du 19ème siècle.
La metteuse en scène a choisi de se concentrer sur quelques personnages qui dominent ou trahissent l’épouse et mère de famille. Il y a le mari qui s’adresse à elle de manière péjorative, à son alouette comme il la surnomme – sans cervelle manifestement -, il y a l’ami de la famille, médecin libidineux, qui la poursuit de ses assiduités, il y a l’amie, une veuve, qui la manipule et, enfin, l’employé de la banque qui lui fera du chantage.
Wikipédia nous apprend que Henrik Ibsen a été inspiré par John Stuart Mill, lui-même influencé par son épouse Harriet Taylor, pour la réflexion féministe rare chez les hommes de cette époque de son essai De l’asservissement des femmes, publié en 1869.
La pièce, donc. Après une très courte intervention de Yngvild Aspeli nous expliquant la genèse de son spectacle, le rideau noir tombe littéralement pour laisser apparaître un plateau d’un intérieur, un salon, comme dans une maison de poupées. Les marionnettes de taille réelle sont disposées autour de l’héroïne. Nora est cernée de toutes parts, les enfants sont sur son dos, le mari est plaintif, l’amie la culpabilise, le médecin de famille la harcèle et le collègue de travail de son mari la fait chanter.
L’histoire, chacun d’entre nous la connaît et le texte en anglais, coupé, simplifié peut-être, n’est pas si important. Il est même assez basique. Nora signe un document avec un collègue de son mari pour emprunter une somme d’argent qui lui permettra de voyager en Italie et de soigner l’époux souffrant. Elle est hors-la-loi car les femmes, sans l’autorisation d’un homme de la famille, ne peuvent obtenir cette transaction. D’un autre point de vue, une forme d’indépendance financière, une liberté, une manière de se dégager de l’emprise mâle est interdite aux femmes, une manière de les enchaîner au foyer.
Son mari apprend le « crime » et c’est à ce moment-là que l’angoisse commence à monter. L’étau se resserre. Les ennuis avaient déjà démarré avec le harcèlement de l’ami de la famille, la trahison du collègue du mari mais il est temps pour Nora de se libérer des conventions, de quitter sa prison.
Alors, la violence se déchaîne contre cette femme qui n’a aucune marge de manœuvre.
Il paraît que de tous les spectacles d’Ingvild Aspeli, c’est le plus théâtral. Pourtant, ici ne domine pas le texte. Ici ce sont la scénographie, les compositions musicales de Guro Skumsnes Moe, qui importent et qui l’emportent, qui imprègnent l’univers de Nora d’une angoisse que ressent le spectateur.
Les marionnettes sont humaines mais avec l’idée de saisir sur le visage le trait principal qui définit le personnage, le rôle : le mépris, l’obscénité, la rouerie, la manipulation.
Aidée d’une complice dans l’ombre et d’un autre acteur marionnettiste, l’araignée – la tarentule – envahit son univers. La toile se fixe sur les cloisons comme pour l’engluer, l’atmosphère devient noire, sombre et angoissante, étouffante jusqu’à faire venir la bête, dans une danse libératrice, la tarentelle.
Nora est au centre de cette performance car elle va prendre son envol, contrairement à cet oiseau qui s’est fracassé sur la vitre de la metteuse en scène.
Parallax
texte – Kata Wéber
mise en scène – Kornél Mundruczó / Proton Theatre
dramaturgie – Soma Boronkay, Stefanie Carp
scénographie – Monika Pormale
costumes – Melinda Domán
lumière – András Éltető
musique – Asher Goldschmidt
chorégraphie – Csaba Molnár
collaboration artistique – Dóra Büki
assistant à la mise en scène – Soma Boronkay
dans le cadre du Festival d’automne
Eva, Jonas, Lena. Trois générations touchées par la haine de l’autre. Trois générations qui ont du mal à échanger. La grand-mère est née à Auschwitz. Comment a-t-elle survécu ? Mengele les a choisies, elle et sa mère qui venait d’accoucher, non pas pour les épargner mais pour des expériences inhumaines dont il était célèbre.
Il y a la grand-mère, la mère et le fils, trois pays différents, trois époques différentes. Ce qui les relie, c’est la grande question de l’identité : qui suis-je ? Qu’est-ce qui définit ce que je pense de moi, de ce que je suis ?
Trois actes ou trois plateaux. La vidéo encore, un outil trop souvent employé au théâtre. Peut-être est-elle utile, sur le premier plateau, afin d’être au plus près des visages de la mère, Eva, et de la fille, Léna, quand la rescapée du camp de concentration lui raconte son histoire ? On a l’impression d’assister à la première transmission de l’indicible. Ce que sa mère a vécu, c’est la première fois que Léna l’entend quand elle vient de Berlin à Budapest pour récupérer des papiers, les vrais cette fois, pour une médaille de reconnaissance. La mère n’en veut pas, elle a trop souffert. La fille a fui en Allemagne pour s’éloigner de cet étouffement, de cette douleur de cette mère qui ne pouvait pas la prendre dans ses bras. Léna revendique sa judéité, Eva ne veut rien entendre de tout cela. Alors, affaiblie, la tête qui ne fonctionne plus très bien, incontinente, Eva va enfin se confier à sa fille.
Transition avec des trombes d’eau qui sortent du décor, surchargé, de toutes parts, des hectolitres, pendant de longues minutes se déversent sur le sol, eau sous laquelle Lena, torse nu, se place. Symboliquement, hormis l’idée d’une purification toute téléphonée, on ne saisit pas bien. Beaucoup d’effets pour pas grand-chose.
Quelques années plus tard pour les funérailles d’Eva, le petit fils débarque de Berlin dans l’appartement et, la veille des funérailles de l’aïeule, y invite d’anciennes connaissances gays pour une partouze avec cocaïne et godemichés. S’ensuivent, entre fellations et sodomies, des conversations plates sur la politique homophobe actuelle hongroise, leurs peurs, leur dissimulation pour ne pas être condamnés. Le texte a, paraît-il, été écrit collectivement. Parfois, cela fonctionne. Ici, non. D’autant qu’il serait aussi improvisé. Ce volet est l’occasion de souligner que le fils, Jonas, ne met pas en avant son identité juive – ce n’est pas un sujet -, non plus d’ailleurs son identité homosexuelle – ce que ne comprennent pas ses acolytes – car il refuse d’être assimilé à une communauté. Ce plateau aurait pu être intéressant, sans cette débauche de corps nus et en action, sur le thème de l’assignation à une identité.
Quant à la confrontation mère-fils, pour le troisième plateau, le final, on se dit que les clichés ont de beaux jours. Toujours cette idée d’écriture collective. Très souvent, les comédiens et metteurs en scène pensent qu’ils savent écrire. À tort. D’autres, plus modestes, font appel à de vrais auteurs. Le monde du théâtre contemporain souffre parfois de la pauvreté des textes.
Il y a tant à dire sur la société hongroise, sur ce que les femmes, les homosexuels et les minorités vivent dans une société dirigée par un Premier ministre cynique, sur la corruption et la captation de l’économie hongroise par la famille et les proches de Viktor Orbán. Ce spectacle aurait pu en être l’occasion. Mais l’émotion ressentie au premier acte a été neutralisée par l’exhibitionnisme du deuxième et la platitude du dernier.
Le metteur en scène, Kornél Mundruczó, est connu aussi pour de nombreuses mises en scène et réalisations au cinéma, dont le film White God, sélectionné à Cannes dans la section Un certain regard en 2014, a reçu un prix.
Il n’y a pas que le cinéma dans ma vie culturelle, il y a également le théâtre.
Ces deux spectacles ont été représentés respectivement aux Ateliers Berthier et au Théâtre Gérard Philipe.