La violence, même au nom d’idées exactement opposées à celles du fascisme des années 30, risque d’entraîner les sociétés libérales vers la même tragédie qu’il y a trente ans… Les marxistes qui se déclarent non communistes ont efficacement aidé à la ruine de la république de Weimar : certains d’entre eux parlent et agissent comme s’ils rêvaient de renouveler cet exploit.
Les événements aux frontières de l’Union européenne ont dirigé les projecteurs sur un accord tripartite qui avait échappé à l’immense majorité des citoyens européens : le triangle de Weimar. Conçu à l’origine pour être un espace de dialogue et d’échanges, un forum plus qu’un accord formel entre les trois pays, ce trio pourrait peser au sein de l’Europe en accordant – enfin – de la part de la France et de l’Allemagne, une plus grande importance, une plus juste légitimité aux pays membres de l’Europe centrale via la Pologne. Dans un contexte de futures élections présidentielles américaines et de décisions incertaines de soutien à l’Ukraine, l’Union européenne, tardivement, est en pleine réflexion sur une stratégie de défense européenne.
Symboliquement, ce forum, à sa création, a pris le nom de Weimar, en référence, peut-être à Goethe et à Schiller, mais surtout à la première république d’Allemagne (1918-1933), la république de Weimar.
Depuis sa création, en 1991, année de la dissolution de l’Union soviétique, et en prévision d’une adhésion de la Pologne à l’Otan puis à l’Union européenne, le triangle n’a pas multiplié les réunions, parfois pour des raisons d’inimitié politique vis-à-vis de la Pologne, parfois aussi par désintérêt et mépris français pour les pays de l’Est.
Depuis la nomination de Donald Tusk comme chef du gouvernement polonais, il semble que le maillon faible, cette fois-ci, ne soit plus la Pologne mais la relation crispée entre le président français et le chancelier allemand.
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Weimar, de la république au triangle
Weimar a succombé du nihilisme de ses ennemis – extrême droite, d’abord, extrême gauche, ensuite, qui, secrètement alliées à distance, ont fait peser une double tenaille fatale sur son libéralisme politique. Souvenons-nous en.
La république de Weimar – lieu de promulgation de sa Constitution – a vu le jour au moment exact où la première Guerre mondiale prenait fin. C’est un régime parlementaire qui se substitue à un régime monarchique. Elle a connu de nombreux heurts et conflits mais les institutions ont pu fonctionner à peu près normalement jusqu’en 1930, date à laquelle les gouvernements, ne pouvant reposer sur aucune majorité parlementaire, se sont succédé. Le SPD (parti social-démocrate), ancré dans le milieu ouvrier, le parti du Centre, servant les intérêts des catholiques, et le DDP (parti démocratique allemand), libéral-conservateur de gauche, sont les alliés originels de cette république même si le SPD se retrouve souvent dans l’opposition. Le déclin du DDP et du parti populaire allemand (DVP), conservateur) va précipiter la chute de cette république au profit du parti national-socialiste, le NSDAP (le parti nazi), dans un contexte de récession et de mesures de moins en moins populaires pour rétablir l’équilibre budgétaire. Les politiques socio-économiques autoritaires mises en œuvre et la confiscation du pouvoir au profit du NSDAP, ont abouti à l’élection d’Adolf Hitler, le 30 janvier 1933. Plusieurs théories expliquent l’avènement du nazisme au pouvoir, principalement un contexte social et économique de récession. Mais cette république n’a véritablement duré que onze années. L’Allemagne avait peut-être goûté à la démocratie mais les allemands n’ont pas eu le temps d’adhérer à cette notion et sont restés attachés à un pouvoir autocrate.
Le triangle de Weimar a été pensé sur le modèle de réconciliation entre la France et l’Allemagne.
Appeler ce cercle d’après la république du même nom est une manière de rappeler que les allemands ont expérimenté pendant cette courte période un régime démocratique comme les polonais allaient le faire après la chute du mur de Berlin. De plus, située en Thuringe, à dix kilomètres de Buchenwald, cette ville est symboliquement associée au pire de ce que l’humanité peut faire, la Pologne ayant aussi sa responsabilité. Ne pas oublier. Jamais.
Ce triangle de Weimar a connu des hauts et des bas du fait de l’intérêt plus ou moins grand des différents chefs d’État. La France pensait perdre de son influence à Bruxelles si elle accordait plus d’importance aux pays d’Europe centrale, si on déplaçait le point de gravité, établi par l’axe franco-allemand, vers l’Est, ce qui sans doute bénéficierait économiquement aux allemands.
Les relations dégradées avec la politique autocrate de la Pologne, jusqu’aux dernières élections d’octobre dernier, n’ont rien arrangé non plus.
Malgré les alertes de la Pologne quant à la menace imminente d’une Russie révisionniste, les dirigeants de l’Ouest n’ont rien voulu entendre, notamment les allemands qui ont continué d’entretenir des relations avec la « vorace » fédération pour assurer son approvisionnement en gaz.
Depuis deux ans, les cartes européennes se sont redistribuées et ce trio a tout à gagner en relançant les réunions au sommet pour impulser une véritable politique cohérente de défense de notre territoire et de celui de nos voisins, de nos intérêts, de nos démocraties.
Donald Tusk, conseiller conjugal ?
L’époque de l’après-guerre est révolue. Nous vivons une époque nouvelle : une époque d’avant-guerre. C’est pourquoi l’Otan et la solidarité entre l’Europe et l’Amérique sont plus importantes que jamais.
Les récents événements sur son territoire, un missile russe ayant survolé pendant 39 secondes son espace aérien, justifient encore les avertissements de la Pologne à ses alliés sur une guerre imminente.
Le nouveau premier ministre de la Pologne a mené la coalition politique à la victoire qui a mené à l’éviction des nationalistes-conservateurs du PiS. S’il a dû faire des concessions, notamment sur les idées sociétales de son propre parti, à l’origine plus conservatrices que celles de ses alliés, on ne peut nier qu’il a toujours été un fervent défenseur de l’union européenne et qu’il a la connaissance des institutions ; il fut président du Conseil européen de 2014 à 2019. Son prédécesseur, sans avoir ses convictions, loin de là, avait néanmoins mis en place, dès l’attaque de l’erratique Russie, une politique d’aide à l’Ukraine, le pays étant directement concerné par la guerre menée par l’ancien Grand frère qui a laissé de douloureux souvenirs jusqu’à la dislocation de l’union soviétique.
Il n’est pas certain, malgré le contexte de danger auquel l’Europe fait face, que Donald Tusk aura l’envie et/ou la capacité de réconcilier Olaf Scholz et Emmanuel Macron qui semblent n’avoir aucune confiance l’un envers l’autre.
Comme dans toute coopération ou union, chaque membre a son agenda, ses contraintes domestiques.
La Pologne fait face à la concurrence des agriculteurs ukrainiens suite aux décisions prises par l’union européenne, elle surveille également ses frontières pour empêcher toute immigration illégale. Le président français, tout comme le chancelier allemand, est en chute libre dans les sondages de popularité ; ils ne s’apprécient pas, n’ont aucune confiance l’un envers l’autre. Tandis que le premier, en deux années, a joué à la girouette et n’exclut pas des « troupes » des pays membres sur le sol ukrainien, le deuxième dit aussi tout et son contraire et se heurte au sein de sa coalition au gouvernement à des prises de position antagonistes.
La Pologne, sauveuse de l’Ukraine
Pensée, conçue, construite sur la notion de paix, l’Europe est sommée depuis plus de deux ans de changer de logiciel et de raisonner non pas seulement en tant qu’espace économique – à défaut d’être politique – mais aussi en tant que puissance, notamment militaire. Trois pays, trois aires géographiques ; en impulsant un renforcement de leur coopération, ils peuvent entraîner dans leur sillage les trois régions de l’Union dont ils sont les plus proches, le sud pour la France, le nord pour l’Allemagne et bien entendu, l’Europe centrale pour la Pologne.
L’Allemagne espère toujours des États-Unis qu’ils jouent un rôle de premier plan en matière de sécurité en Europe, tandis que la France nourrit l’idée d’une « Europe qui protège ». Les relations entre la France et l’Allemagne, longtemps le couple leader de l’Union européenne, n’ont jamais été aussi tendues, leur politique intérieure les tirant dans des directions opposées. Le très prudent Olaf Scholz doit manœuvrer avec une coalition fracturée comprenant des pacifistes au sein de son propre parti social-démocrate (SPD), tandis que la nouvelle attitude de faucon d’Emmanuel Macron est en partie une tentative pour tromper l’opposition croissante de la droite dure à son gouvernement centriste minoritaire.
Les trois leaders ne partent donc pas des mêmes endroits.
La Pologne dès le début du conflit en Ukraine a entrepris de se réarmer et de fournir son voisin agressé. Malgré les dissonances au sein de la coalition au pouvoir, le chancelier allemand refuse de fournir à l’Ukraine des missiles de croisière à longue portée. Et le président français, après avoir épargné le président auto-proclamé de la fédération de Russie pendant une très longue période, semble vouloir endosser le costume du meilleur allié de Volodymyr Zelensky alors que l’aide militaire en volume en provenance de Paris est bien plus faible que celle de Berlin.
Comme le premier ministre polonais l’écrivait sur les réseaux, le jour même de leur réunion à Berlin, le 15 mars dernier : « Une vraie solidarité avec l’Ukraine ? Moins de paroles, plus de munitions ».
Selon les chiffres que l’on prend en compte pour estimer la puissance d’une armée, les classements varient. Si l’on prend le pourcentage du PIB, la Pologne serait la troisième puissance européenne de défense, elle y consacre plus de 4%. Pour mémoire, l’Otan recommande à ses membres d’allouer 2 % du PIB aux dépenses militaires. La loi de programmation militaire française, adoptée en juin 2023 par le Parlement, doit porter les dépenses militaires de la France à 2 % du PIB d’ici… 2025.
D’une certaine manière, la coalition franco-germano-polonaise paie les relations ambiguës que l’Allemagne et la France ont entretenues avec la Russie. L’Allemagne, pour des raisons économiques et pragmatiques, et la France pour des raisons romantiques – cette fameuse « âme slave » qui séduit tant certains intellectuels ou politiques gaulois – et la nostalgie d’un grand rôle diplomatique sur la scène internationale.
À l’origine fondé sur la notion de la paix, ce trio se réactive parce que la guerre est à nos portes… quelle ironie.
Les deux leaders du sacro-saint couple franco-allemand ne doivent pas négliger l’expertise de la Pologne sur le voisin russe encombrant et menaçant et doivent faire fi de leur posture de défiance.
La Pologne est une puissance militaire qui compte au sein de l’union. Elle a montré, par le résultat des élections législatives d’octobre dernier, que sa population se démarque de celle des pays qui l’entourent – Slovaquie, Hongrie – mais aussi de la population des pays de l’Ouest en se débarrassant de l’extrême-droite et de ses idées rances et nauséabondes.
L’union européenne et l’Europe auraient tout à gagner d’arrêter de mépriser la Pologne – et les pays de l’Europe centrale – et de prendre en considération ses alertes. Ou nos dirigeants seront-ils à nouveau des somnambules ?
Quand je lis ton article j’ai impression que la 3ème guerre mondiale c’est pour bientôt .
1) Nos dirigeant européen devrait se posé les bonnes questions : pourquoi cette guerre en ukraine, afrique, israel etc……..
2) Ce que nos dirigeant oublie , le monde évolue on devrait revoir entièrement Le traité de l’Atlantique Nord ou traité de Washington qui a été signé le 4 avril 1949 signé par douze pays occidentaux qui concerne l’alliance politico-militaire entre ses membres afin d’assurer leur sécurité collective dans le contexte de la guerre froide.