L’agenda de Viktor

Occupons Bruxelles ! Pas de migration. Pas de politique de genre. Pas de guerre !
Viktor Orbán – Meeting Élections européennes – 1er juin 2024

Il y a exactement 20 ans, le 1er mai, La Hongrie adhérait officiellement à l’Union européenne. Viktor Orbán, malgré le succès de son parti politique, aux élections législatives de 2002, avait été obligé de renoncer à sa fonction de Premier ministre. Il se retrouvait donc durant 8 années dans l’opposition. Pourtant dès 2004, il obtient 13 sièges sur 24 sièges auxquels peut prétendre la Hongrie au Parlement européen. En 2010, il retrouve son poste de chef du gouvernement et ne cesse d’enchaîner les succès politiques malgré ses excès ou probablement grâce à eux.
Ce 1er juillet, la Hongrie succède à la Belgique et pendant 6 mois sera aux commandes du Conseil de l’Union européenne, pour la seconde fois depuis 2011. Compte tenu du tempérament de l’homme politique, de la montée en puissance de l’extrême-droite dans les pays européens, de ses relations étroites avec les autocrates dont le Président, à vie, russe, il faut suivre avec une très grande attention celui qu’un ancien Président de la Commission européenne accueillait d’un « Salut, dictateur ! » sur un ton condescendant, en lui tapotant la joue.
La France et ses successifs chefs d’État ont trop longtemps négligé les pays d’Europe centrale, et les ont méprisés. Peu de voyages officiels alors que les américains leur portaient plus d’intérêt. Pour ces pays, naguère sous le joug du Grand frère russe, les valeurs occidentales ne se concentraient pas seulement sur le continent européen, et parfois nos dirigeants européens s’offusquaient que ceux que l’on avait bien gentiment accueillis dans notre club puissent avoir l’outrecuidance de privilégier les États-Unis dans leurs relations économiques.
Il est probable qu’ayant détourné nos regards, après les États-Unis, la Russie ait profité de notre arrogance.

Make Europe Great Again – crédit : capture d’écran vidéo Hungary in the EU

Le 1er juillet 2024, la Hongrie, membre de l’Union européenne, succède à la Belgique, à la Présidence du Conseil de l’Union européenne, quelque 3 semaines après les dernières élections européennes qui ont confirmé une stabilité de la puissance de l’extrême-droite et un léger renforcement de la droite conservatrice. La Hongrie, pays de près de 10 millions d’habitants, a connu comme beaucoup de pays d’Europe centrale la grande Histoire, sous le joug de l’U.R.S.S. jusqu’à la chute du mur de Berlin, après que les alliés avaient redessiné la carte politique. Les autorités politiques menées par le Premier ministre Viktor Orbán sont visiblement toujours séduites par le grand frère russe, et la Hongrie fait figure d’exception dans le paysage politique de l’Union européenne. Aucun autre pouvoir en place en Europe se déclare pro-russe et hostile à toute aide financière et militaire au pays attaqué, l’Ukraine.
Pourtant, en 1956, le pays, mené par le Premier ministre réformateur Imre Nagy, a tenté de se débarrasser de l’occupant mais l’insurrection de Budapest qui a fait entre 3000 et 4000 morts et a précipité l’exil de 200 000 Hongrois, a été rapidement contrée. Cette Hongrie qui, sous le gouvernement de János Kádár, dès 1968, ouvrait une partie de l’économie administrée au secteur privé. Cette tentative appelée aussi « le socialisme du goulash » a participé à l’essor de l’économie du pays, en faisant une exception au sein des pays constitutifs de l’U.R.S.S.
La Hongrie est aussi, pour mieux comprendre l’irrédentisme de ces citoyens, ce pays qui, après le traité de Trianon, a vu ses frontières redessinées et a perdu 71% de son territoire et 32% des magyarophones (personnes parlant le hongrois) répartis dans 6 autres pays frontaliers. Si la Hongrie s’émancipe de l’Autriche (ex empire austro-hongrois), la contrepartie territoriale et économique est redoutable. Elle perd toutes ses mines d’or, d’argent, de mercure, de cuivre et de sel, autour de 60% de ses forêts, et son accès à la mer.
La Hongrie est ce pays qui fête chaque année, le 15 mars, la révolution de 1848, tentative d’indépendance contre les Habsbourg ou la Maison d’Autriche, restée féodale. Cet anniversaire, cette célébration, est l’occasion de confrontation de deux mondes. Alors que les démocrates de toute l’Europe choisissent cette date pour protester, à Budapest, contre la politique de Viktor Orbán, ce dernier ainsi que les mouvements d’ultra-droite, comme le parti Notre Patrie, ouvertement homophobe, antisémite et antitsigane, et l’extrême-droite européenne, se rassemblent devant le Musée national. La Hongrie est un pays qui a de tout temps cherché son récit, son indépendance, la démocratie, ses principes libéraux, et tenté de retrouver sa splendeur, sa grandeur. Pourtant, entre 1998 et 2002, et depuis 2010 sans discontinuer, Viktor Orbán, qui a profité des outils démocratiques européens, installe tranquillement son pouvoir autocrate, ses idées nauséabondes, et espère attirer dans son giron le reste de l’Europe.
Enfin, la Hongrie est aussi le pays aux nombreux prix Nobel dont Imre Kertész, Elie Wiesel – tous deux rescapés des camps de concentration -, Milton Friedman et l’exilée Katalin Kariko, « madame ARN-messager », qui malgré les nombreux obstacles a réussi à démontrer à la communauté scientifique l’intérêt de cette molécule pour la médecine. Alors, la ténacité, l’intelligence, le courage de cette femme peuvent-ils éventuellement continuer d’encourager les opposants aux fossoyeurs de la démocratie, et entraîner celles et ceux qui ne se sont pas encore réveillés ?

Dans un monde en perpétuel changement et incompréhensible, les masses en étaient arrivées au point où elles croyaient tout et rien à la fois, où elles pensaient que tout était possible et que rien n’était vrai… Les dirigeants totalitaires de masse ont fondé leur propagande sur l’hypothèse psychologique pertinente selon laquelle, dans de telles conditions, on peut faire croire aux gens les déclarations les plus fantastiques un jour, et espérer que si le lendemain on leur donne la preuve irréfutable de leur fausseté, ils se réfugieront dans le cynisme ; au lieu de déserter les dirigeants qui leur ont menti, ils protesteront qu’ils savaient depuis longtemps que la déclaration était un mensonge et admireront les dirigeants pour leur habileté tactique supérieure.
Hannah Arendt – Les origines du totalitarisme – 1951

Souvenez-vous, je qualifiais le chef du gouvernement hongrois, dans l’article L’Ukraine doit être au cœur des préoccupations de l’Europe, de marchand de tapis. Il a en effet la réputation d’être un homme de transactions, vitupérant les valeurs de nos pays démocrates mais ne refusant pas la manne financière européenne, tout comme ses collègues français du Rassemblement national.
Viktor Orbán est très attiré par les hommes et les femmes politiques qu’il considère comme forts, puissants, autoritaires. N’a-t-il pas désigné les deux femmes politiques d’extrême-droite, l’italienne et la française, comme les deux personnalités incontournables de la (dé-)construction européenne ? N’a-t-il pas rendu visite à son « ami » Donald Trump dans sa villa en Floride au début de l’année, futur allié du démantèlement de l’Ukraine et donc de l’Europe ? N’était-il pas présent tout comme Jair Bolsonaro à l’investiture de Javier Milei, autre homme politique illibéral ? Enfin, n’est-il pas le seul dirigeant européen à conserver une relation étroite avec le Président russe ?

Affiche pour la Présidence de la Hongrie du Conseil de l’Union européenne détournée par le groupe European democrats

Pourtant, à l’origine, Viktor Orbán s’est construit politiquement en combattant le communisme et en co-fondant, à l’âge de 24 ans, le parti Fidesz, à l’origine libéral de gauche, progressiste et anti-clérical. Créé en 1988, ce parti n’attend pas une dizaine d’années et, dès 1995, il prend un tournant conservateur. Il renomme son parti Fidesz-MPP, « MPP » pour Magyar Polgári Párt – Parti civique hongrois.
Viktor Orbán construit également un récit et il est soupçonné d’avoir fait courir la rumeur selon laquelle József Antall, premier Premier ministre élu démocratiquement, l’aurait désigné, sur son lit de mort, comme son successeur. Avec les législatives de 1994, il fait de son parti le deuxième plus important, en nombre de sièges à la Diète, derrière le Parti socialiste hongrois (MSZP) et remporte les élections en 1998. Malgré sa première place en 2002 en nombre de députés, ses opposants s’allient et Viktor Orbán doit céder le pouvoir à une autre coalition constitué du parti MSZP et du parti de l’Alliance des démocrates libres (SzDsZ). Alors qu’il est dans l’opposition, il continue d’entretenir ses contacts à l’étranger, on notera qu’il sera, en 2003, l’invité de l’université d’été de l’UMP, et que les Présidents Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy en voyage officiel en Hongrie n’auront pas manqué de lui rendre visite.
Viktor Orbán est populaire car sa politique rencontre un certain succès économique, malgré sa tendance protectionniste, et augmente sensiblement le pouvoir d’achat de ses concitoyens. Par ailleurs, le discours nationaliste rencontre l’approbation de beaucoup de hongrois qui veulent retrouver une grande et forte Hongrie. Ensuite, il n’a de cesse que d’invoquer les racines chrétiennes de l’identité européenne. Lors des débats sur la Constitution européenne, il fustigeait « la laïcisation excessive » du texte. Enfin, le rejet ou le mépris de l’Autre – femmes, juifs, étrangers, personnes LGBTQ+ – trouve toujours son auditoire d’aigris.
Sur la politique étrangère, il est depuis le début à rebours de pays occidentaux démocrates, en accueillant, en 2000, le chancelier autrichien Wolfgang Schüssel qui vient de former un gouvernement avec l’extrême-droite, le Parti libéral autrichien (FPÖ). Il ne contredira pas non plus son allié d’extrême-droite, István Csurka, qui justifiait les événements du 11 septembre par le soutien d’Israël par les États-Unis. Enfin, toujours dans cette perspective de nationalisme, il fait voter une loi attribuant des droits importants aux minorités magyares résidant dans des pays limitrophes, notamment celui de pouvoir travailler jusqu’à 3 mois en Hongrie.
En 2011, après consultation des Hongrois, il fait voter une nouvelle Constitution appelée Loi fondamentale de la Hongrie qui met en place les valeurs nationalistes et conservatrices de son parti : remise en cause de l’avortement, rappel des racines chrétiennes du pays, octroi de la nationalité hongroise aux citoyens magyarophones des pays voisins – appelés aussi magyars d’outre-frontières -, droit de grève restreint, etc.
En début de cette année 2024, l’Union européenne, par sa Commission, s’est inquiétée de la création d’une autorité de surveillance censée prévenir « les interférences étrangères », en arguant qu’elle violait le principe de la démocratie. Mis en place à l’approche des élections européennes et municipales de juin 2024, ce « bureau indépendant de protection de la souveraineté » a pour mission « d’enquêter » sur les « attaques illégales » menaçant la sécurité nationale – dont les activités d’organisations bénéficiant de financements étrangers. Mardi 25 juin, l’ONG Transparency International Hungary et Átlátszó, l’un des médias d’investigation les plus connus du pays, ont déclaré avoir reçu une notification officielle les informant qu’ils faisaient l’objet d’une enquête en tant qu’organisations qui, « avec le soutien de l’étranger, mènent des activités visant à influencer la volonté des électeurs ». Le soutien russe sera-t-il également enquêté ?
Et surtout, Viktor Orbán a une obsession : les migrants. Comme tant d’autres candidats à la dictature. Le problème, c’est toujours l’Autre. Cette rhétorique simpliste qui associe « plus un seul migrant » à « la fin de vos problèmes ».
Le Premier ministre hongrois d’extrême-droite et torpilleur en chef de l’Europe avertissait ses partisans lors d’un meeting de campagne électorale à Budapest que, sans lui, leur pays serait envahi par des millions d’immigrés clandestins et cesserait d’exister en tant que nation. Cela fonctionne toujours chez ceux qui ont décidé dorénavant de ne plus réfléchir et de confirmer leurs opinions – et non leurs réflexions – devant des écrans.
Selon lui, l’Union européenne est seule coupable et la Commission est sous l’emprise de son ennemi libéral, le philanthrope américain d’origine hongroise George Soros (Pour l’anecdote, en 1989, l’étudiant Viktor Orbán obtenait une bourse de la fondation Soros pour étudier la science politique et l’histoire de la philosophie libérale britannique au Pembroke College de l’université d’Oxford, en Grande-Bretagne). L’Union européenne se préparerait donc secrètement à entrer en guerre avec la Russie au sujet de l’Ukraine. Le vote en faveur de son parti au pouvoir, le Fidesz, lors des dernières élections européennes est donc le seul moyen de maintenir la paix.
Viktor Orbán se désigne, lui-même, comme un « architecte de la paix ».

Alors, il est important de suivre les pérégrinations et les déclarations de Viktor Orbán et de ses sbires durant cette période de présidence du Conseil de l’Union européenne. Il prendra des initiatives au nom de la « maison Europe » en toute illégitimité. Cette première semaine ne nous a pas déçus.
Pendant ce temps, alors que le Président français nous a tous plongés, Français, Européens ainsi que le monde entier, dans une torpeur et une peur, en décidant, a priori seul, la dissolution de l’Assemblée nationale, Olaf Scholz qui a lui aussi vécu un sérieux revers aux élections européennes, prend ses responsabilités. Il résiste à la demande de dislocation de sa coalition et prend des initiatives à la hauteur de l’Europe et de nos institutions. Après avoir pensé la réalisation d’une Maison germano-polonaise, à Berlin, qui rappelle la brutale occupation allemande pendant la Seconde Guerre mondiale et commémore les victimes polonaises, le voici, mardi 2 juillet, en visite à Varsovie, accompagné par dix ministres et deux ministres d’État. Le trio de Weimar a perdu un de ses membres mais le duo Olaf Scholz-Donald Tusk résiste aux extrêmes.
Pendant ce temps, Olaf Scholz, qui doit rattraper une politique européenne et allemande d’Angela Merkel complaisante avec la Russie, a réussi à s’accorder, vendredi 5 juillet à 5 heures du matin, avec les partis de son alliance, fragilisée le 9 juin dernier, sur un budget 2025.
Pendant ce temps, le récemment nommé ministre britannique des affaires étrangères, David Lammy, réservait son premier voyage officiel à l’Allemagne.
Pendant ce temps, tout tourne autour du nombril français et la médiocrité s’est infiltrée dans nos débats et nos commentaires.

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