Tant que ce mot – antifascisme – ne sera pas prononcé par ceux qui nous gouvernent, le spectre du fascisme continuera de hanter la maison de la démocratie italienne.
Souvenez-vous, nous avions laissé Giorgia Meloni, goguenarde, et triomphante hôtesse du G7, du 13 au 15 juin dernier, à Borgo Egnazia, Les Pouilles. Elle accueillait alors six éclopés. Le Président de la première puissance mondiale en passe de renoncer à briguer un deuxième mandat (Joe Biden), un Premier ministre éliminé sèchement lors des dernières élections législatives (Rishi Sunak), un autre sur le point de se retirer de la course à la tête de son Parti libéral-démocrate (Fumio Kishida), un président aux résultats électoraux médiocres et aux décisions politiques égocentriques et hasardeuses (Emmanuel Macron), un chancelier confronté à la fragilisation de sa coalition gouvernementale (Olaf Scholz), et un dernier à la popularité en chute vertigineuse (Justin Trudeau). Giorgia Meloni, tête de liste de son parti, “Fratelli d’Italia”, venait de remporter les élections européennes du mois de juin dans son pays, et tous les regards étaient braqués sur elle, sur Marine Le Pen et sur Viktor Orbán.
Dans cet élan, la présidente du Conseil des ministres italien espérait conserver des relations étroites et chaleureuses avec la Commission et sa cheffe, Ursula von der Leyen. Surtout, elle attendait un retour sur investissement au sein de Bruxelles d’autant qu’elle s’était distinguée de ses deux acolytes par son soutien à l’OTAN et à l’effort financier à l’Ukraine. Bref, comme toute bonne élève, elle attendait de récolter ses bons points.
La chute fut brutale et les portes des institutions bruxelloises se sont fermées brutalement sur le minois de la blonde qui n’a toujours pas fait son mea culpa – son parti politique non plus – de ses positions fascistes. Si elle s’est efforcée d’enrober son parti d’idéologie conservatrice, s’est-elle vraiment débarrassée de la nostalgie fasciste et de l‘antisémitisme ? Comme en France, les électeurs, les militants et les candidats dégottés au dernier moment sont là pour vous rappeler que vous avez établi votre fonds de commerce sur la haine de l’autre. Ce sont les antisémites, les homophobes, les misogynes et les racistes qui, dès que vous avez un peu de succès, sortent des bois, se lâchent et sont décomplexés. Comme le sparadrap du capitaine Haddock, les mauvaises fréquentations sont collantes.
La flamme tricolore ne s’est jamais éteinte
Giorgia Meloni a commencé la politique très jeune, comme le petit Jordan. Ils sont tous les deux attirés par les mêmes idées d’extrême-droite, le nazisme pour l’un par l’intermédiaire de son premier patron, Jean-Marie Le Pen, et le fascisme pour la Romaine, racines italiennes obligent. Dans une vidéo qui a toujours son petit succès, elle a 19 ans, et elle affirme, dans un parfait français, que Roberto Mussolini était un bon politicien. À l’époque, elle est déjà responsable nationale de l’action étudiante de l’Alliance Nationale (AN) créée par Gianfranco Fini, parti héritier du Mouvement Social Italien (MSI), constitué en 1946 par les perdants de la guerre, les fascistes. Le fondateur de l’AN avait tenté de se débarrasser de ses plus extrêmes, en vain.
Cette flamme ? C’est le symbole historique qui accompagne l’histoire de la droite républicaine, d’abord le Mouvement Social Italien puis l’Alliance Nationale. Comme nous nous inscrivons dans la continuité de cette histoire, nous l’avons stylisée et reprise.
Partenaires de Giorgia Meloni dans ses ambitions nationales, les plus extrêmes ont imposé, lors de la création du parti Fratelli d’Italia, un logo flanqué de la flamme tricolore, signe de ralliement des néofascistes du MSI. Giorgia Meloni sait que cette flamme a toujours été une référence explicite à celle qui brûle sur la tombe de Benito Mussolini et constitue donc le principal symbole du néo-fascisme italien.
En 2022, les nostalgiques du fascisme se sont retrouvés, médusés, au pouvoir grâce aux divisions des partis de gauche et à la crise des partis de droite. Comme le Rassemblement national, il suffit d’attendre que les adversaires politiques pataugent, promettent et se compromettent. Aucun mérite.
Les nombreux sparadraps



Le 13 juin dernier, le site Fanpage crée la polémique en mettant en ligne deux reportages vidéos d’un journaliste infiltré au sein de Gioventù Nazionale, la formation de jeunesse de Fratelli d’Italia. Plusieurs dirigeantes sont sommées de démissionner : Flaminia Pace, présidente de Gioventù Nazionale Pinciano, Elisa Segnini, secrétaire en chef d’Ylenja Lucaselli, chef de groupe de Fratelli d’Italia à la commission du budget de la Chambre des Députés, Ilaria Partipilo, collaboratrice de Giovanni Donzelli, chef national de l’organisation Fratelli d’Italia et proche du sous-secrétaire à la santé Marcello Gemmato. Insultes antisémites, propos racistes contre les Noirs, chants nazis, propos abjects sur les personnes trisomiques. Ester Mieli, sénatrice de Fratelli d’Italia, est ouvertement insultée parce que juive. Si l’affaire a ébranlé l’Italie, qui a pourtant l’habitude de voir des défilés aux relents fascistes dans ses rues, elle a été évoquée en France dans un contexte de sidération suite à la dissolution de l’Assemblée Nationale. Et pourtant, soyons honnête, ce qui s’est passé en Italie n’a rien à envier à ce que l’on a pu lire et entendre sur les comptes des réseaux sociaux des candidats de l’extrême-droite française : casquette de sous-officier nazi de la Luftwaffe avec une croix gammée, messages antisémites, homophobes, racistes. Quelle était la défense des cadres du Rassemblement national ? Ils et elles n’ont pas l’habitude de l’expression politique… mais de l’expression haineuse, manifestement oui.
Von der Leyen et Meloni, la rupture
Au Parlement européen, les députés de Fratelli d’Italia siègent au sein du groupe ECR (European Conservatives and Reformists). Jusqu’en juillet, il était le troisième groupe en nombre d’eurodéputés derrière le PPE (Parti Populaire Européen – droite conservatrice) et le S&D (parti social démocrate – gauche socialiste), ce qui, selon Giorgia Meloni, justifiait d’être appelé à la table des grands. Très rapidement, la situation s’est envenimée lorsque, la veille du dernier Conseil européen des 27 et 28 juin, la Première ministre italienne qualifiait l’UE de « géant bureaucratique envahissant » et déclarait qu’il était « surréaliste » que les postes les plus importants aient été décidés sans prendre en compte le résultat des élections européennes.
La rhétorique agressive de Giorgia Meloni a probablement contrarié la Présidente et sa famille du PPE, qui avaient tenté par tous les moyens de l’éloigner de Viktor Orbán depuis son arrivée au pouvoir. Par ailleurs, les socialistes par l’intermédiaire de leur cheffe de file, Iratxe García, et les libéraux de Renew, par celle de Valérie Hayer, avaient fait de la coopération avec Giorgia Meloni une ligne rouge. Ils ont eu gain de cause.
Son ennemi juré hongrois, Viktor Orbán, en créant son nouveau parti Patriotes pour l’Europe reléguait ECR à la cinquième place en nombre d’eurodéputés.
Le 18 juillet 2024, Giorgia Meloni, via son Parti, votait contre la réélection d’Ursula von der Leyen à la Présidence de la Commission européenne.
Isolement de l’Italie
Par son choix, la Première ministre italienne risque de rendre son pays insignifiant au sein du « géant bureaucratique envahissant ». Nous doutons qu’elle ait fait le meilleur calcul à un moment où un cordon sanitaire a été installé pour le parti ECR. Enfin.
Après des années de sourires, de masques et de courtisanerie, avec ce vote de Fratelli d’Italia, l’Italie de Giorgia Meloni s’est rangée en un claquement de doigt dans une case, la seule qui lui convienne, celle de l’extrême-droite.
Les prétextes du vote ne font pas illusion. Même si le parti de l’Italienne n’aime pas la main tendue de la Présidente aux Verts européens – et peut-être une réactivation du Pacte vert qui avait été sérieusement égratigné par les promesses de campagne – on se doute que le nœud du problème est ailleurs.
Le calcul n’est probablement pas le bon car l’Italie – pays signataire des Traités de Rome – risque de se retrouver isolée. Alors que Giorgia Meloni pouvait s’enorgueillir, début juin, des résultats de son parti, son pays devient négligeable dans des instances qui décideront sans elle. Car elle ne pourra plus prétendre dorénavant à un poste de commissaire qui a du poids, ou à un poste de vice-présidence.
D’un revers de main, l’euroscepticisme de ses partisans, qu’elle avait mis de côté, lui est revenu en boomerang pour une saute d’humeur, par un très mauvais calcul politique.
« Ce qu’a fait Mme Meloni est tout simplement stupide », a déclaré un haut diplomate de l’UE après le vote au Parlement. « Elle a brûlé tant de capital politique en quelques semaines ».
Le choix de Mme Meloni pour le poste de commissaire européen devrait être une bonne indication de l’orientation qu’elle souhaite donner à ses relations avec Mme von der Leyen. Si elle choisit son ministre de l’Europe, Raffaele Fitto, un ancien eurodéputé, plutôt bien vu à Bruxelles, cela pourrait indiquer qu’elle souhaite un dégel.
Pendant ce temps, l’Italie n’a plus que quelques jours pour désigner son candidat.
Pendant ce temps, Matteo Salvini, allié et néanmoins concurrent de Giorgia Meloni, a rejoint le groupe de Viktor Orbán au Parlement européen.
Pendant ce temps, Ursula von der Leyen, selon le site Politico, doit se préparer à vivre un second terme autrement plus éprouvant que le premier notamment avec les différentes composantes de l’extrême-droite.
Pendant ce temps, les relations entre la présidente de la Commission et la présidente du Conseil italien risquent de s’envenimer. La Première ministre italienne est furieuse du rapport annuel de la Commission européenne sur l’État de droit, qui exprime des inquiétudes quant à la liberté de la presse en Italie et à l’indépendance de son radiodiffuseur public, la Rai. Nous l’avions déjà évoqué ici.
Pendant ce temps, l’actuelle présidente a demandé à chaque pays de faire une proposition d’un homme et d’une femme pour chaque portefeuille. Seuls six pays ont joué le jeu, à ce jour, les autres faisant fi d’une Commission équilibrée entre les hommes et les femmes. Aaaah, le retour au bon vieux temps…