Si nous voulons défendre la liberté et la souveraineté de la Hongrie, nous devons occuper Bruxelles et transformer l’Union européenne.
Depuis le début de l’été, lundi 1er juillet, la Hongrie préside le Conseil de l’Union européenne pour une période de six mois. Certains s’en étaient émus et avaient même envisagé – compte tenu du comportement sulfureux et de la politique délétère envers l’Union européenne du personnage – d’empêcher Viktor Orbán de prendre les manettes de l’UE, et de passer la main directement à la Pologne. Même le Parlement européen s’en était mêlé en votant, le 1er juin 2023, à une large majorité, une résolution réclamant au Conseil de « trouver une solution dès que possible ».
La veille, le dimanche 30 juin, soit 3 semaines après la dissolution surprise de l’Assemblée nationale par Emmanuel Macron, et alors que les Français et les Européens s’intéressant à la politique ont leur attention captée par les résultats du 1er tour, le Premier ministre hongrois annonce la création de son propre groupe politique au Parlement, nommé « Patriotes pour l’Europe » .
Les débuts du Premier ministre hongrois ont fait bondir les dirigeants européens. Les ont-ils seulement surpris quand on connaît le personnage ? Les deux premières semaines de Viktor Orbán n’ont pas épargné la planète en termes environnementaux. On ne l’arrêtait plus dans ses pérégrinations sur tous les continents et ses rencontres avec des dirigeants peu portés à la démocratie.
crédit photo : engin akyurt
Le slogan « MEGA »
Ce sera une présidence comme les autres, nous agirons en tant que médiateur impartial.
La rumeur courait dans les rédactions hongroises depuis des semaines mais les journalistes ne voulaient pas y croire, tellement cela leur paraissait ridicule. Ils avaient tort.
Make Europe Great Again
Voici le slogan que l’équipe hongroise a sortie du chapeau. Il ne faut jamais sous-estimer la fatuité de l’homo politicus. Viktor Orbán et son équipe ont dévoilé, le 18 juin dernier, le slogan de leur présidence comme pour inviter, après Vladimir Poutine, le futur dictateur des États-Unis, Donald Trump, dans les affaires bruxelloises. Pour beaucoup d’acteurs européens, ce slogan sent le soufre et annonce les intentions du chef du gouvernement hongrois : diriger l’Union européenne vers l’autocratie.
Alors qu’il était reproché à Viktor Orbán de s’inspirer du slogan de son « ami » Donald Trump, auquel il rend souvent visite, son ministre des affaires européennes, Janos Boka, répondait par une pirouette : « A ma connaissance, Donald Trump n’a jamais voulu rendre l’Europe forte ». Justement.
Patriotes ou traîtres pour l’Europe ?
Quelques semaines après sa création, le groupe politique d’extrême-droite européen non seulement remplit la condition de représenter au moins 7 pays de l’Union mais devient en nombre d’eurodéputés (84) le 3ème après le Parti Populaire Européen (droite conservatrice – 188 députés) et le parti social démocrate (socialiste – 136 députés) ; il passe ainsi devant ECR (European Conservatives and Reformists – 78 députés), autre groupe d’extrême-droite qui accueille le parti de Giorgia Meloni, et Renew (77 députés) qui accueille les parlementaires de Renaissance – source : Parlement européen – 16 juillet 2024.
Le Rassemblement national est le parti qui présente le plus de députés, 30, soit 12 de plus que dans l’hémicycle sortant. À ce titre, c’est le petit Jordan qui a été nommé président de cette nouvelle coalition. Sans daigner se déplacer à Bruxelles ce jour-là. Une bonne âme charitable devra l’informer que la présidence d’un groupe, notamment de cette importance à la fois numérique, idéologique et symbolique risque de changer son rythme de travail… Mais on y reviendra un peu plus tard.
Quelques semaines avant de présider le Conseil de l’UE, le Hongrois s’était débarrassé de dossiers chauds tels que le 14ème paquet de sanctions contre la Russie, la nomination du néerlandais Mark Rutte à l’OTAN et l’ouverture effective des négociations d’adhésion de l’Ukraine à l’Union. Mais en bon marchand de tapis qu’il est, et ceci pour pouvoir négocier le déblocage de fonds européens gelés par la Commission pour son pays, le Premier ministre magyar s’est gardé sous le coude la question de la Facilité européenne pour la paix, politique permettant de prêter assistance à des pays partenaires, ici l’Ukraine.
Façonner l’Europe de l’intérieur
Beaucoup s’inquiètent que Viktor Orbán soit à la manœuvre pendant ces six mois à un moment où la France, affaiblie par la dissolution et le succès de l’extrême-droite dans les urnes, se cherche un(e) capitaine. D’autres, pour se rassurer peut-être, rappellent que les grandes décisions définitives ne sont pas du ressort de cette Présidence, que le « mandat » est court, seulement 6 mois. Surtout, cette Présidence intervient juste après les élections européennes du 9 juin, et le temps que les députés se mettent en place, que les commissions et autres institutions désignent leurs représentants aux désormais fameux « top jobs » ou emplois de première importance, on arrivera déjà au mois de novembre, quelques semaines avant que la Pologne, membre du triangle de Weimar, prenne le relais.
Viktor Orbán est certes en mission, et pas en « mission de paix« , comme il l’affirme.
L’Union européenne est confrontée à un nouveau type d’eurosceptique, celui qui ne souhaite pas quitter l’Union mais la façonner, en imprimant sa marque sur des politiques allant du soutien à l’Ukraine à la lutte contre le changement climatique, en passant par les politiques d’immigration et les valeurs conservatrices – avortement, droits LGBT, etc.
Rappelons-nous l’une des nombreuses volte-face de Marine Le Pen, notamment sur le Frexit, perspective abandonnée pour rassurer une partie de son électorat. Dorénavant, les adversaires des institutions européennes veulent rester dans la forteresse, l’occuper et la détruire de l’intérieur. Ne pensons pas que c’est l’aboutissement de réflexions intenses et sincères de la part des représentants de l’extrême-droite. Nous avons affaire au sein de notre havre de paix à une attaque en règle commandée certainement de la Russie, appuyée peut-être par la Chine et/ou l’Inde, et avec un soutien hypocrite car autocentré des États-Unis. Les intérêts territoriaux et économiques sont en jeu. Si l’ancien président américain orangé était réélu, le lobby américain omniprésent depuis des décennies à Bruxelles ne ferait que s’accroître. Si c’est possible… Adieu à nos règlements Digital Service Act et Digital Markets Act.
Le collectionneur de miles
La première semaine de la Hongrie « à la tête » du Conseil de l’Union européenne n’a pas été décevante. Lisez plutôt.
Le 2 juillet, Viktor Orbán se déplaçait pour la première fois depuis le début du conflit à Kiev. Lui qui n’avait jamais daigné se rendre en Ukraine et avait déclaré ceci sur l’agression de la Russie : « C’est une question très sensible pour nous, […] L’écrasante majorité des Hongrois ne sont ni prorusses, ni pro-ukrainiens, ils sont pro-hongrois : ce conflit n’est pas notre conflit, nous voulons rester à l’écart de cette spirale d’escalade. […] La Hongrie reste un allié de l’OTAN, nous remplissons nos obligations, mais nous ne participerons pas à la mission OTAN-Ukraine, ni financièrement ni avec nos militaires ». »
Dorénavant, le chef du gouvernement hongrois veut jouer un rôle de médiateur entre l’Ukraine et Moscou. Le choix de cette date pour rencontrer Volodymyr Zelensky n’est pas innocent. Elle sème la confusion. Elle fait croire à celles et ceux qui ne connaissent pas le personnage que l’initiative est européenne et que la Hongrie a un mandat de nos instances. Premier camouflet à nos institutions avant d’enchaîner sur un autre vol – et hop de nouveaux miles – en direction de Moscou et de Vladimir Poutine, le 5 juillet.
Avant la réunion, il déclarait : « La Hongrie est en train de devenir le seul pays d’Europe capable de parler à tout le monde ».
Après la réunion, les ambitions avaient disparu : « Les positions sont très éloignées. […]
Cette fois-ci, en sortant de son tête-à-tête avec le dictateur russe, son optimisme sur ses capacités de médiateur pour la paix avait disparu. Le lendemain, dans son élan, il se rendait, le 6 juillet, au sommet de l’Organisation des États turciques organisé en Azerbaïdjan. La Hongrie en est un État observateur depuis 2018. Les dirigeants européens ont beau protester et attester que l’initiative était seule hongroise, rien n’arrête Viktor Orbán.
Croyez-vous que ce soit fini ? Sur le chemin pour se rendre au sommet de l’OTAN, à Washington, du 9 au 11 juillet, Viktor Orbán sollicitait une rencontre avec Xi Jinping, et en fin de séjour rencontrait pour la deuxième fois dans l’année, à Mar-a-Lago, le candidat orangé à la présidentielle américaine, pariant sur la victoire de ce dernier. Compte tenu des derniers événements politiques américains, rien n’est moins sûr.
Aucun membre de l’Union européenne ne souhaite la sortie de la Hongrie du club. Ses citoyens, pour une large majorité non plus. Viktor Orbán le sait. Les Hongrois, même les électeurs du Fidesz, sont heureux que leur pays soit membre de l’UE. L’enquête Eurobaromètre réalisée régulièrement par la Commission européenne révèle que le soutien des Hongrois à l’adhésion à l’UE est largement supérieur à 50 %. Une enquête récente a révélé que 72 % des personnes interrogées estimaient que l’adhésion à l’UE était une bonne chose.
Viktor Orbán « veut être l’homme de Trump en Europe si ce dernier gagne les élections, afin d’être celui qui ouvrira la porte de la Maison Blanche à l’Europe ».
Selon Zsuzsanna Szelényi, ancienne membre du Fidesz, « Viktor Orbán n’a pas à s’inquiéter de perdre du pouvoir chez lui, car il en a accumulé énormément. […] Son objectif dépasse désormais le cadre de la Hongrie. Cela est évident depuis un certain temps. Il veut non seulement protéger son régime en Hongrie, mais aussi influencer la culture politique en Europe. Bruxelles en est la pierre angulaire. »
Lors du sommet de l’OTAN, des membres de l’Institut hongrois des affaires internationales ont tenu, à Washington, une réunion à huis clos avec le groupe de réflexion conservateur Heritage Foundation – à l’origine du très controversé projet 2025 – selon le Guardian. L’événement était intitulé « en marge du sommet de l’OTAN » et portait sur la sécurité des États-Unis et de l’Europe. Heritage Foundation organise régulièrement des réunions avec les services de politique étrangère du gouvernement hongrois.
Même si des voix hongroises commencent à s’élever en Hongrie, si d’anciens membres de son parti souhaitent s’opposer au puissant chef du gouvernement, celui-ci travaille depuis longtemps en étroite collaboration avec des ennemis du dispositif d’alliance européenne. Et cela dessert l’Union européenne tant pour ses valeurs que pour sa sécurité.
Alors… patriotes ou traîtres ?