Le Mexique est à l’honneur en cette rentrée cinématographique.
Hijo de sicario (Sujo) des cinéastes mexicaines Astrid Rondero et Fernanda Valadez, qui reprennent le thème de la violence masculine qu’elles avaient déjà traité dans Sin señas particulares, film multi-primé.
Emilia Pérez, film musical de Jacques Audiard qui mélange les genres, drame et télénovela, dans une fiction qui a séduit le jury du dernier festival de Cannes.
Le premier est distribué dans un tout petit nombre de salles parisiennes, pour une unique séance quotidienne tandis que le second est largement distribué, parfois sur deux salles dans un même cinéma.
D’un côté, une réalisation au plus près de la culture mexicaine, filmée de manière brute, néanmoins avec ses composantes surréaliste et magique. En face, une fiction sophistiquée, très écrite, accablée sans doute par un budget d’une vingtaine de millions d’euros.
crédit photo : brian wegman
Hijo de sicario (Sujo)
Grand prix du jury du festival de Sundance 2024
Prix du meilleur film de la ville de Sofia du festival international de Sofia
Prix Ciné + des Rencontres Cinélatino de Toulouse 2024
Réalisation et scénario : Astrid Rondero, Fernanda Valadez
Sons : Omar Juárez Espino
Musique : Astrid Rondero
Photographie : Ximena Amann
Montage : Astrid Rondero, Fernanda Valadez, Susan Korda
Genre : drame – 2024
Le protagoniste est accompagné tout au long de sa vie par de nombreuses femmes jusqu’à son âge adulte. La violence au Mexique est en effet pour l’essentiel une violence de genre. Ainsi, la majeure partie des jeunes qui sont cooptés par les organisations criminelles sont uniquement des garçons. Ainsi, les hommes sont des proies vulnérables faciles pour le narcotrafic.
Astrid Rondero – Entretien
Les critiques et les prix décernés dans les festivals – notamment le prestigieux Sundance – l’attestent : nous avons affaire aux nouvelles « jefas » du cinéma mexicain. Astrid Rondero et Fernanda Valadez, deux noms à retenir, sont prêtes à succéder à Alfonso Cuarón, Guillermo del Toro et Alejandro Iñárritu. En tout cas, elles complètent l’univers de ces cinéastes réclamés par Hollywood et multi-oscarisés.
Sujo, très jeune enfant, se retrouve orphelin. Sa mère est décédée et son père, tueur à gages (sicaire) pour le crime organisé, vient d’être assassiné. En 4 chapitres, nous grandissons avec le jeune garçon.
Il est rare et convaincant d’aborder la gangrène que sont les cartels au Mexique sans nous imposer de scènes de violence, de tortures. La cruauté est hors-champ et convoquée de temps à autre par un coup de feu ou des cris de souffrance. Nous l’avions souligné chez d’autres jeunes réalisateurs (Sandhya Suri pour Santosh, Thien an Pham pour L’arbre aux papillons d’or, ou encore Iris Kaltenbäck pour le ravissement), le son est un personnage fondamental du casting. La musique, ici, est seulement diégétique. Tendons l’oreille pour saisir la campagne désolée et aride, la nuit aux mille étoiles, la magie du monde vivant, la tentaculaire ville de Mexico.
L’univers de Sujo, au prénom énigmatique, est à la fois brut, sauvage, naturel et mystique grâce à celles qui le prennent en charge, la sœur de sa mère et son amante.
La tierra caliente (la terre chaude voire ardente), la tante Nemesia, au nom de déesse de la vengeance, « bruja » (sorcière) isolée du village, les légendes transmises oralement et qui existaient bien avant les hommes sur terre, une araignée dans sa toile à la lumière de l’aube, une voiture – signe de réussite, d’argent et de compromissions – abandonnée et envahie par les broussailles, une terre aride malgré le sang versé par le crime organisé, les hommes désœuvrés et embarqués dans le crime, les femmes et les enfants en dommages collatéraux, tous et toutes victimes.
De cette tierra caliente, nous ne voyons pas grand-chose, les scènes sont à hauteur d’enfants ou elles sont nocturnes. Si la terre est végétalisée, elle est sèche, stérile, favorable au piège tendu par les cartels. La photographie est léchée, peut-être un peu « poseuse ».
Sujo est sauvé par les femmes qui l’entourent et l’accompagnent dans son apprentissage. L’école lui est inaccessible mais il apprend auprès de sa tante et de l’amante de celle-ci. Plus tard, il provoquera la rencontre avec la professeure d’université. Indirectement, Aurelio, le commanditaire de l’assassinat du père de l’enfant lui sauve la peau en lui interdisant de mettre les pieds au village. Ses demi-frères, eux, n’ont pas cette chance et sont les proies faciles des cartels.
On pourra peut-être reprocher aux deux cinéastes parfois un scénario didactique – la scène du cours à l’université sur le conflit déterminisme et libre-arbitre – et un univers symbolique un peu appuyé.
Emilia Pérez
Après une très courte ouverture du film sur trois mariachis, le décor est planté : l’aventure sera mexicaine. Le cliché bien expédié était obligatoire tant le film aurait pu se passer en Albanie ou en Tchétchénie. La ressemblance entre Ramzan Kadyrov et Karla Sofía Gascón, ridiculement grimée en homme, est confondante.
Alors que l’on sent beaucoup d’écriture sur ce film, l’intrigue tient en quelques lignes. Une mention spéciale – ironie – pour l’idée de convertir l’un des pires bouchers en « señorita de charité ».
Nous étions prévenus, presque toutes les scènes ont été tournées en studios, en banlieue parisienne. Le choc est néanmoins rude. Après une vision sociale et politique de la violence masculine des réalisatrices, et son tournage en partie en extérieur, nous voici confrontés à un fantasme raté de la culture mexicaine et de ses narco-trafiquants. L’ambiance est enfermée, couverte, sombre. La première scène censée représenter les rues de Mexico, la nuit, avec son lot de guérites de tacos et autres gourmandises nous transporte dans l’atmosphère de Blade runner.
Prix du jury et prix d’interprétation féminine collectif du festival de Cannes 2024
Réalisation : Jacques Audiard
Scénario : Jacques Audiard
Musique : Camille, Clément Ducol
Photographie : Paul Guilhaume
Son : Erwan Kerzanet, Aymeric Devoldère, Cyril Holtz
Chorégraphie : Damien Jalet
Décors : Emmanuelle Duplay
Montage : Juliette Welfling
Genre : drame musical – 2024
Le film a tellement peu à voir avec le Mexique que même la direction du casting a pioché les acteurs aux États-Unis, en Espagne, au Venezuela, en Belgique.
Peut-être le réalisateur n’avait pas en tête de filmer le Mexique. Peut-être était-ce juste un décor ? Où sont les arômes de « yerbabuena », de maïs grillé ou de goyave ? Pourtant, l’unique scène qui procure une émotion – avec peut-être celle dansée et chantée de la soirée du gala de bienfaisance – est la dernière scène, celle de la procession tournée au Mexique, en extérieur, avec des Mexicains.
Sur les notions de déterminisme et de libre-arbitre, Jacques Audiard, d’une part, Astrid Rondero et Fernanda Valadez, d’autre part, n’ont pas pris le même chemin. Un univers féminin pour chacune des réalisations mais les intentions étaient probablement différentes.
Parfois, une écriture trop travaillée vient se superposer à l’image, au son, aux sensations et par conséquent à l’émotion.
Cette rubrique se veut régulière (et fréquente) car si vous avez lu mon premier article, vous savez dorénavant que je suis férue de cinéma. J’ai la chance de vivre dans la capitale mondiale du 7ème art, et je vous ferai part de temps en temps de mes coups de cœur.
Ces deux fictions ont été visionnées respectivement aux cinémas UGC-Les Halles et Le Louxor.