Cette semaine, deux jeunes réalisateurs, l’un vietnamien et l’autre française, dont ce sont les premiers longs-métrages. Deux grands cinéastes sont nés !
L’arbre aux papillons d’or
Réalisation, scénario et montage : Thien An Pham
Photographie : Dinh Duy Hung
Musique : Franz Schubert et « les bruits de la vie »
Genre : drame – 2023
Depuis combien de temps négligez-vous votre âme ?
Avez-vous déjà réfléchi à votre but dans la vie ? Vous êtes-vous déjà laissé emporter par les événements sans essayer de résister ? Avez-vous déjà laissé la magie opérer ?
Vous voici dans les pas de Thien, un jeune homme « perdu dans le matérialisme », à l’aube de son voyage spirituel.
Vous rencontrez des gens ordinaires aux destins ordinaires, mais aux âmes supérieures. Vous découvrez la beauté du sud rural du Vietnam, un Vietnam dont on ne sait pas grand-chose. Plongez dans le monde de Thien, celui des forêts brumeuses, des papillons d’or, des sons de l’eau, calmes et violents, des vieilles dames sages, gardiennes des âmes. Soyez prévenus : il faut ne pas presser le pas, il s’agit de ralentir.
Comme une rupture, dès le début du film, le passage du rythme d’une grande ville animée à un paysage paisible donne le ton et nous entraîne dans la quête spirituelle involontaire du protagoniste. Il ne s’était pas rendu compte qu’il s’était perdu dans la grande ville malgré la scène d’ouverture du film sur une conversation entre amis au sujet de la foi.
D’une vie assez solitaire et routinière dans une ville grouillante à un moment plein de nouvelles rencontres dans la campagne mystique, Thien apprend à prêter attention aux petites choses, aux êtres ordinaires, et à apprécier la profondeur des relations humaines.
Fait-il le deuil de sa belle-sœur ou de sa propre âme ? En guise de métaphore, il enterre un petit oiseau mort, premier contact avec la terre de son pays oublié. La caméra se concentre sur deux paires de mains, l’une d’un homme adulte, l’autre d’un enfant.
La maison abandonnée et inondée est une allégorie de sa vie passée. Elle surplombe la vallée et abrite de tristes souvenirs, la confusion mentale et les angoisses de son ancienne amoureuse, leur incapacité à former un couple. Les éléments se jouent de la bâtisse et rien n’empêche son exposition à la pluie, aux rafales de vent. Les volets de bois claquent quand les souvenirs sont sombres, quand il s’agit d’écouter ce vieux combattant voué à panser les plaies des endeuillés.
Les chemins rouges et boueux le conduisent à une rencontre, puis à une autre, puis à une autre.
Le spectateur ralentit comme Thien ralentit. Le spectateur est Thien. Chaque détail compte, il s’ouvre au monde qui l’entoure, le spectateur aussi. Un rayon de lumière à travers un mur en ruine, une balade à motocyclette à l’aube lorsque le soleil essaie de percer le voile du ciel, la force verticale d’une pluie battante, un arbre couvert de papillons d’or, un troupeau de buffles noirs, effrayés mais menaçants, un coq qui chante au loin, tous ces détails mis en valeur par la lumière brumeuse.
Toute la maestria de Thien An Pham, le réalisateur, tient peut-être dans son passé d’ingénieur en informatique. Il avait prévu 67 séquences et il les a toutes filmées malgré les aléas d’un tournage en extérieur.
Et il y a le son qui nous fait réaliser que son film n’est pas habillé, voire déguisé, par de la musique, très peu présente. Pour réussir ce coup de maître, Thien An Pham a posé une multiplicité de micros pour nous attirer dans le monde de son protagoniste.
Soudain, il n’y a plus d’écran entre vous et Thien. Il n’y a plus de barrière, et vous êtes en phase avec les battements de son cœur. La temporalité du voyage devient temps réel.
Êtes-vous en train de rêver ? S’agit-il de scènes réelles ? A-t-il vraiment rencontré cette vieille dame ? Lorsqu’il se réveille sous un torrent de pluie, on ne sait plus s’il a rêvé mais on se rend compte qu’on est entré dans un état onirique et surréaliste. Admirez les papillons d’or qui s’envolent de l’arbre.
Le ravissement
Réalisation : Iris Kaltenbäck
Scénario : Iris Kaltenbäck
Photographie : Marine Atlan
Montage : Pierre Deschamps, Suzana Pedro
Musique : Alexandre de La Baume
Son : Simon Apostolou, Antoine Bailly, Guilhem Domercq, Caroline Spieth
Genre : drame – 2023
De celle qui va basculer dans le mensonge, nous ne savons pas grand-chose et nous ne savons surtout pas ce qui l’a conduite à manipuler les personnes qu’elle aime et celles dont elle pense être amoureuse. Ce n’est pas le sujet du film, il n’y a pas de thérapie et d’explications imposées par la scénariste-réalisatrice, Iris Kaltenbäck, pourtant – ou parce que – fille de deux psychanalystes. Ce qui importe, c’est l’enchainement des événements, la spirale du mensonge qui va entraîner l’héroïne – et nous également – dans une décision fatale.
Paris est filmée comme elle devrait tout le temps l’être, et non pas comme le font souvent les américains mais aussi de manière surprenante les réalisateurs français comme s’ils habitaient tous dans le 5ème ou le 6ème arrondissement. Non, Paris n’est pas une carte postale, figée. Elle est une petite capitale bouillonnante que traversent toutes sortes de personnes, de toutes classes, des travailleurs, des gens simples. La caméra est notre œil, nous déambulons dans les rues de l’Est parisien, nous sommes dans le bus, notre regard passant d’une seconde à l’autre d’un piéton à un autre, attiré par la veste rouge d’une jeune femme qui se presse sur le trottoir, en quête d’un gâteau d’anniversaire.
Lydia et Salomé forment le duo d’amies inséparables. Salomé est en couple, elle ne délaisse pas pour autant son amie, s’inquiète de sa vie amoureuse, et se moque de son cœur d’artichaut. Elle apprend qu’elle est enceinte alors que Lydia vient de rompre avec son petit ami. Salomé est là pour Lydia, pour le déménagement d’un matelas d’occasion dans un nouvel appartement ordinaire – non, elle n’habite pas un loft avec vue sur le Panthéon – qui transpire la modestie, la solitude.
D’un grand professionnalisme dans son métier d’accoucheuse, Lydia crée des liens évidents avec les femmes qu’elle suit et met toute la douceur et ses compétences techniques au service des futures mamans et de leurs bébés. Dans la vraie vie, peut-être même avec sa meilleure amie, elle est en retrait, fade parfois, lumineuse de temps en temps. Elle est normale.
Dès le début du film, on sent une fêlure lorsque, sous prétexte d’une innocente blague, la maïeuticienne fait croire à son amie que son test de grossesse est négatif. Qui fait cela à sa meilleure amie qui vraisemblablement souhaite tomber enceinte ?
Si l’on peut faire un lien avec le film de Thien An Pham, c’est cette capacité – que peu de réalisateurs ont – de nous faire quitter, le temps d’un voyage cinématographique, notre siège de spectateur. Nous ne sommes plus dans la salle, la caméra est notre œil, le faux-père de l’enfant nous susurrant à l’oreille des éléments sur sa rencontre d’un soir, y rajoutant de la complexité.
Dans une interview, et c’est ce que l’on ressent tout au long du film, la réalisatrice, ancienne avocate pénaliste, confirme que « …ce n’est pas du tout un film de procès… » et qu’elle a « essayé de construire le portrait de cette femme à travers des fragments, à travers la voix off de Milo, mais justement sans jugement ».
Oui, je me répète, une grande cinéaste – comme Iris Kaltenbäck aime se définir – est née !
Cette rubrique se veut régulière (et fréquente) car si vous avez lu mon premier article, vous savez dorénavant que je suis férue de cinéma. J’ai la chance de vivre dans la capitale mondiale du 7ème art, et je vous ferai part de temps en temps de mes coups de cœur.
Ces films ont été respectivement visionnés dans les cinémas UGC Les Halles et Cinéma des cinéastes, à Paris.